Le remplacement des parlementaires en cas d’accueil d’un enfant : un texte sans envergure

La répartition hommes et femmes à l'Assemblée nationale
Remplacer les députés en cas de congés parentalité - un long travail

Si la proposition de loi constitutionnelle de la député Mathilde Hignet pouvait susciter un certain enthousiasme quant à ses intentions, force est de constater qu’elle ne résout aucun des problèmes soulevés dans son exposé des motifs. 

Féminisation, rajeunissement et majorité relative

Le sujet est désormais connu : les députés souhaitant prendre un congé de parentalité ne le peuvent pas. Qu’il s’agisse des députés enceintes ou des députés souhaitant passer les premiers jours de leur vie, auprès de leur nourrisson, la chose est entendue. Ils sont obligés de s’absenter de l’Assemblée nationale. Du côté des pères, certains trouvent des astuces pour ne pas être défavorablement notés sur les différentes plateformes de présence. Quant aux mères, elles sont dans l’obligation de rester le plus tard avant l’accouchement et de revenir le plus tôt possible après. 

Sous la XIVe législature, ce n’était pas réellement un sujet. D’une part, l’Assemblée n’était pas aussi féminisée ni aussi jeune. D’autre part, les équilibres politiques n’étaient pas fondamentalement bouleversés. Sous la XVe législature, la Chambre basse s’est considérablement rajeunie, mais également féminisée. Plusieurs députés ont eu la joie d’accueillir un enfant durant leur mandat. Comme sous la précédente législature, il n’y a pas eu de déséquilibre politique : La République En Marche était majoritaire. 

La XVIe législature pose plusieurs difficultés. Même si la féminisation a reculé, la pyramide des âges fait état d’une certaine jeunesse.

La pyramide des âges à l'Assemblée nationale sous la XVIe législature

La pyramide des âges à l'Assemblée nationale sous la XVIe législature - septembre 2022

Mais, les forces politiques ne sont plus les mêmes. La coalition présidentielle ne dispose plus que d’une majorité relative. Chaque voix compte et les débats durant la session extraordinaire de l’été 2022 ont été la démonstration que certaines mesures se jouent à quelques voix. 

Enfin, si la féminisation de l’Assemblée nationale a reculé, les postes clefs sont détenus par des femmes. On pense évidemment à la présidente de l’Assemblée nationale, mais aussi à la présidente du groupe Renaissance, celle du groupe de La France Insoumise, à certaines présidentes de commissions permanentes, etc. C’est dans ce contexte que la député Mathilde Hignet — député LFI et enceinte — a déposé une proposition de loi constitutionnelle, afin que les députés puissent être remplacés temporairement par leurs suppléants en cas d’accueil d’un enfant. 

Un texte inadapté

Les bonnes intentions ne font pas de bonnes lois. Dans un article unique, la député se propose de modifier l’article 25 de la Constitution pour y inclure la possibilité d’être remplacé en cas d’accueil d’un enfant. C’est une erreur de véhicule législatif. En effet, l’article 25 renvoie à une loi organique les conditions dans lesquelles le remplacement d’un député ou d’un sénateur est assuré. En l’occurrence, l’article LO 176 du Code électoral liste les cas de figure. Il est parfaitement inutile de s’encombrer d’une procédure de réforme constitutionnelle pour quelque chose qui relève de l’organisation des chambres parlementaires. La simple création d’un alinéa entre le premier et le second — qui deviendrait le troisième — dans l’article LO 176 suffit amplement. Sollicité, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, confirme que ce sujet relève clairement de la loi organique. « L’article 25 [de la Constitution] ne dit d’ailleurs lui-même pas grand-chose, sauf à lister les domaines qu’il renvoie au législateur organique. Il y a déjà des cas de vacances temporaires, il suffit d’en ajouter une dans la loi organique ».

Au-delà de la simple mécanique légistique, une proposition de loi organique aurait certainement plus de chances d’aboutir politiquement, d’autant que ce sujet concerne tous les groupes. On peut s’interroger sur les raisons de ce choix. Sollicitée à plusieurs reprises, la député auteur de la proposition n’a pas été en mesure de donner suite à nos interrogations. 

S’agit-il d’un simple coup médiatique ? On peut l’envisager ainsi, pour plusieurs raisons. En dehors de la question du véhicule législatif choisi — une proposition de loi constitutionnelle au lieu d’une « simple » proposition de loi organique — le texte oublie une autre injustice de la « non-suppléance » : les parlementaires malades. 

La maladie : cette grande oubliée 

Pour ne parler que de la XVe législature, plusieurs parlementaires sont décédés en cours de mandat, pour cause de maladie. D’autres ont préféré démissionner et certains ont courageusement tenu le coup durant l’intégralité de leur mandat, alors qu’ils étaient atteints de pathologies graves. Sauf dissolution, un mandat de député dure cinq ans. Personne ne peut jurer qu’il ne tombera pas gravement malade ou ne sera pas victime d’un accident durant cette période. 

Pourtant, le député qui serait dans l’un de ces cas de figure n’a que deux solutions : démissionner, ce qui entraîne une élection législative partielle ou pratiquer la politique du siège vide. La démission oblige le parlementaire à se justifier, ce qui revient à annoncer sur la place publique qu’il est atteint d’une pathologie grave.

Or, cette information relève de sa vie privée. Notons également que la question des parlementaires qui ont un proche malade n’est pas abordée. 

Il est fortement regrettable que la proposition de loi constitutionnelle ne s’intéresse pas au sujet de la maladie. Cet oubli aurait pu être pardonné si la proposition avait balayé sérieusement la question de la suppléance en cas de survenue d’un enfant. 

Amateurisme légistique

En effet, en l’état actuel, lorsqu’un député ou un sénateur doit être remplacé, il ne perçoit plus d’indemnités parlementaires, ni d’avances de frais de mandat, ni de frais de fonctionnement, ni d’enveloppes pour rémunérer ses collaborateurs. Ces éléments sont « transférés » au suppléant ou remplaçant. Quant au parlementaire « initial », sa rémunération ainsi que les différents frais sont pris en charge par d’autres entités. 

Si une député est absente pour cause de congé maternité pour plusieurs mois, qu’en est-il de l’indemnité parlementaire et des autres éléments ? Sont-ils suspendus et transférés au suppléant ? Les collaborateurs parlementaires sont-ils dans l’obligation de travailler pour le suppléant ? Quel serait le calcul de l’indemnité parlementaire pour le député absent pour cause d’accueil d’un enfant ? Quelle serait la source du financement ? Qu’en serait-il de l’avance de frais de mandat durant ce congé ? Comment organiser l’entrée et la sortie du suppléant ? Qu’en sera-t-il de son retour à la vie civile ? 

Autant de questions techniques qui ne sont pas abordées, qui nécessitent un véritable travail de concertation entre tous les parlementaires. Le temps nous dira si le sujet sera traité plus sérieusement pendant la XVIe législature.