
Stade de France : Gérald Darmanin change de version, mais pas devant les parlementaires
Gérald Darmanin a-t-il choisi de dire la vérité… hors du cadre institutionnel ? Trois ans après les incidents survenus lors de la finale de la Ligue des champions opposant Liverpool au Real Madrid, l’ancien ministre de l’Intérieur — devenu depuis garde des Sceaux — revient sur ses déclarations initiales. Et reconnaît s’être trompé. Mais ses excuses n’ont pas été formulées dans l’hémicycle ou devant une commission d’enquête : c’est sur YouTube, face à un vidéaste, que le ministre a fait son mea culpa.
Darmanin admet une « erreur d’analyse »
Dans un entretien diffusé lundi sur la chaîne Legend, Gérald Darmanin revient sur la soirée du 28 mai 2022 au Stade de France. À l’époque, les dysfonctionnements sécuritaires avaient été nombreux : retard du match, gaz lacrymogènes, absence de contrôle, agressions en série. Face aux critiques, le ministre avait imputé la responsabilité aux supporters anglais, affirmant que 30 000 d’entre eux s’étaient présentés sans billet ou avec de faux billets.
Trois ans plus tard, le discours change. « On s’est trompé de dispositif », admet-il. Et plus loin : « On s’attendait à une guerre hooligan, et en fait, on a eu des gens qui sont venus faire des rackets. Donc l’addition des conneries […] fait que moi, quand je fais ma première sortie publique, je dis ce que j’ai vu et ce qu’on m’a dit : « les Anglais foutent le bordel ». […] C’était pas vrai au sens littéral du terme. »
Le ministre reconnaît ainsi une « erreur de diagnostic », fondée sur des préjugés, et concède que « le coupable était facile ».
Une parole publique contredite
Ces nouvelles déclarations posent une question politique majeure : que vaut la parole d’un ministre devant les parlementaires, si elle peut être contredite quelques années plus tard dans un format déconnecté de toute procédure institutionnelle ?
Son argumentaire, appuyé par la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, n’avait convaincu ni les parlementaires ni l’opinion britannique. Plusieurs sénateurs avaient exprimé leur scepticisme, pointant une tentative de dilution des responsabilités. Certains s’étaient inquiétés de la préparation des autorités françaises à l’approche d’autres événements majeurs, notamment les Jeux olympiques de Paris.
Un aveu hors sol sur le plan institutionnel
La temporalité et le canal choisis pour cette autocritique interrogent. Plutôt que d’assumer ses erreurs devant les représentants du peuple, Gérald Darmanin a choisi une chaîne YouTube.
Ce choix pose un problème démocratique. La scène politique devient secondaire, et les influenceurs médiatiques se voient conférer un rôle de « confessionnels » politiques, sans possibilité de contradiction ni de demande de comptes.
Cette déclaration intervient à la veille d’une séance de Questions au Gouvernement, et pourrait alimenter les échanges. Plusieurs parlementaires pourraient interpeller le ministre sur la sincérité de ses propos tenus sous serment, et sur sa légitimité à occuper une fonction régalienne.
Un épisode symptomatique
Ce revirement illustre plus largement la gestion politique de la crise du Stade de France. Dès le lendemain des événements, les premières accusations visaient des « fraudes massives » et des « comportements violents » attribués aux Britanniques.
Le discours institutionnel s’était alors focalisé sur la nécessité d’assurer la sécurité, tout en déresponsabilisant les services de l’État. Pourtant, plusieurs voix, notamment au Sénat, avaient dénoncé des dysfonctionnements systémiques.
Les questions posées lors de l’audition parlementaire étaient restées, pour beaucoup, sans réponse. Où étaient passés les 30 000 supporters évoqués ? Qui pilotait l’opération de sécurité ? Pourquoi certains spectateurs ont-ils pu entrer sans aucun contrôle ? Et surtout : comment une fraude d’une telle ampleur aurait-elle pu être possible ?
Absence de sanction
Malgré les critiques — y compris en provenance du Sénat, qui concluaient à un échec d’organisation —, aucune responsabilité politique n’a été formellement engagée. La ministre des Sports avait clos sa prestation d’un laconique : « On a fait du mieux qu’on a pu en trois mois. » Le ministre de l’Intérieur, quant à lui, s’était félicité qu’aucun sénateur n’ait réclamé sa démission.
Les conséquences judiciaires sont restées limitées. Si des plaintes ont été déposées par des supporters britanniques et espagnols pour vols et agressions, peu ont donné lieu à des suites pénales. En mars 2024, l’UEFA a conclu un accord d’indemnisation avec les supporters de Liverpool, soulignant ainsi la reconnaissance implicite d’un préjudice.
Quant à Gérald Darmanin, il n’encourt aucune sanction politique. Faisant partie des indéboulonnables du Gouvernement depuis 2017, même en cas de motion de censure, il est assuré d’avoir un maroquin, en dépit de son mensonge devant la représentation nationale.