Députés fantômes pour commission fantoche
La création de la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères, demandée par le Rassemblement National, avait fait couler un peu d’encre dans les rédactions. Et pour cause : cela revient à demander à une souris de garder le fromage.
Comme chacun sait, le parlementaire a trois fonctions : faire et voter la loi – chose qui peut se faire sans brailler en séance publique – contrôler l’action du Gouvernement — ce qui ne se résume pas à dire à une ministre qu’elle est bien coiffée — et évaluer les politiques publiques. Les commissions d’enquête parlementaires servent aussi bien à contrôler l’action du Gouvernement qu’à évaluer les politiques publiques. Pour faire simple, le parlementaire se transforme en enquêteur pendant six mois. Au terme des six mois, il rend un rapport, qui donne des idées pour des améliorations. Cela peut être une loi.
Malheureusement, les commissions d’enquête parlementaires se sont transformées en gadgets de communication. Un fait divers ? Une commission d’enquête. À l’Assemblée nationale, les groupes ont ce que l’on appelle un droit de tirage. C’est une carte joker que chaque groupe peut brandir pour faire examiner une demande de création d’une commission d’enquête. Le Rassemblement National a donc utilisé son joker pour cette session 2022-2023. Objectif ? Dédouaner le Rassemblement National de tout soupçon de collusion avec le Kremlin. Dans le rôle du « neuneu » utile, pour reprendre les termes qu’il a lui-même utilisés, Jean-Philippe Tanguy.
On avait déjà expliqué que si l’on était face à des députés moins frileux, la demande aurait dû être balayée d’un revers de la main par la commission des lois. Mais, comme l’a indiqué Julien Bayou par téléphone, les députés ne voulaient pas passer pour des censeurs. Tant pis pour l’exigence intellectuelle et le règlement de l’Assemblée nationale.
Malgré tout, on aurait pu s’attendre à ce que les députés jouent le jeu sérieusement. Trente députés sur 577 peuvent rejoindre la commission d’enquête. Après la lecture du rapport d’enquête, qui est d’une confondante médiocrité, on s’interroge. Les députés ont-ils réellement travaillé sur cette commission d’enquête ? Ont-ils assisté aux auditions ? Ont-ils lu les comptes-rendus ou au moins visionné les auditions ?
On a des doutes et malheureusement, les chiffres de présence montrent que les députés n’ont pas joué le jeu. On se demande pourquoi ils ont postulé pour intégrer cette commission d’enquête. Si l’on met de côté le président et la rapporteure, la moyenne de présence aux auditions a été de 22,86 %. Le record d’absentéisme a été atteint le 6 avril 2023 à 10 h. Seulement deux personnes étaient présentes pour auditionner Nicolas Pinaud, Sandrine Hannedouche-Leric et Maxime Audinet : le président et la rapporteure. Sur les 35 réunions de la commission, 26 n’ont pas dépassé 10 députés présents, président et rapporteur inclus. Le meilleur taux de présence a été enregistré pour la réunion constitutive, avec 23 députés présents, suivi de la réunion de clôture de la commission, avec 22 députés présents. Aucune réunion n’a affiché un taux de présence de 100 %.
Dans le détail, Richard Ramos, Bastien Lachaud et Thomas Portes ont assisté à une réunion sur les 35. Heureusement qu’on les a entendus s’agiter à la télévision, on aurait presque pu lancer une alerte enlèvement. Nous mettons à part Frank Giletti : ce dernier a remplacé Hélène Laporte au sein de la commission, quelques jours avant sa clôture. En effet, il est possible de changer d’avis en cours de route et de demander un échange de place en commission d’enquête, avec un collègue du même groupe.
Notons également que les députés peuvent être excusés pour leur absence, cela figure dans les comptes-rendus. C’est le cas d’Hélène Laporte, dont le nom apparaît plus souvent dans la section « excusés » que « présents », pour une raison simple : les réunions avaient souvent lieu en même temps que les séances publiques, séances que Mme Laporte présidait parfois. Mais, dans le trio de tête des absentéistes, seul Richard Ramos a été noté en excusé. Bastien Lachaud et Thomas Portes ne sont tout simplement pas venus. Il est vrai que Thomas Portes a été exclu de l’Assemblée nationale pendant 15 jours.
Il a donc manqué cinq réunions, avec une excuse valable si l’on peut dire les choses ainsi. Pour les 29 autres, on s’interroge.
On le sait : les agendas se chevauchent à l’Assemblée nationale et personne ne peut oublier la réforme des retraites. Dès lors, on peut s’interroger : les députés ont-ils dû arbitrer ? On a repris les agendas publics : sur les 35 réunions de la commission, des séances publiques ont eu lieu au même moment, pour 20 d’entre elles.
Évidemment, on ne peut pas forcément tirer de conclusions sur la base des seules présences des députés en commission d’enquête. Néanmoins, on verra très prochainement pourquoi il était important de procéder à ce travail de pointage et de rapprochement des agendas.