
Deux Amériques qui se regardent : derrière le slogan « Make America Great Again », des réalités économiques divergentes
Deux Amériques se font face économiquement. Beaucoup d’Américains ont voté Donald Trump pour ses promesses de redressement de l’économie. Pour eux « Make America Great Again » signifie un retour à une forme de prospérité concrète, traduite par une hausse du pouvoir d’achat. Mais, sur le terrain, la réalité varie fortement d’un Américain à l’autre.
Des entrepreneurs qui gardent la tête hors de l’eau
Andrew Lokenauth est un chef d’entreprise prospère, qui affiche un chiffre d’affaires à six chiffres comme il le dit lui-même. Résidant à Tampa (Floride), il n’a pas changé ses habitudes. Mais, sa bonne fortune ne l’empêche pas d’ouvrir les yeux sur ce qui l’entoure : « Mon entraîneur personnel Mike m’a dit qu’il avait dû prendre des clients supplémentaires juste pour maintenir son niveau de vie. Et la semaine dernière, ma barista habituelle m’a raconté qu’elle avait dû réduire toutes ses dépenses non essentielles. Elle ne peut même plus se permettre sa manucure-pédicure hebdomadaire, qui était son petit plaisir ».
Une bonne partie des gens qui l’entourent ont des difficultés « mon facteur Jose, qui dessert mon quartier depuis des années, m’a dit qu’il avait dû prendre un deuxième emploi chez DoorDash le week-end pour faire face à la hausse des coûts. Et quelques chauffeurs Uber avec lesquels j’ai discuté récemment m’ont dit qu’ils travaillaient plus longtemps pour gagner autant qu’avant avec un horaire normal ».
Il en tire une conclusion : « alors que de nombreux propriétaires de petites entreprises de mon réseau s’en sortent très bien, les employés du secteur tertiaire et les personnes ayant un salaire fixe ressentent vraiment les effets de la crise. Le fossé entre ces deux groupes semble se creuser de plus en plus. Cela fait vraiment réfléchir à cette notion de “deux Amériques” dont on parle tant ».
Cette distinction se confirme pour Ali Hassan. Lui aussi chef d’entreprise, il travaille dans la réfection des toitures, également à Tampa, et constate un changement : « le mois dernier, un chef d’entreprise local a opté pour un matériau plus abordable pour un projet de toiture, plutôt que de choisir l’option haut de gamme qu’il avait initialement prévue. Il est clair que les gens sont plus attentifs à leur budget, mais les changements ne sont pas radicaux pour tout le monde. Il s’agit avant tout de trouver un équilibre et de s’adapter à la conjoncture économique actuelle ».
Même son de cloche chez David, qui travaille dans les assurances « Le prix des timbres va encore augmenter. Mon entreprise dépend beaucoup de la publicité par courrier. Nous envoyons chaque mois des milliers de publicités par courrier, ainsi que des lettres de remerciement personnalisées après chaque vente. Les frais d’envoi en nombre devraient augmenter d’environ 7 %, les timbres d’environ 7 % et les cartes postales d’environ 10 % ».
Mais, cette augmentation est compensée par une baisse dans un autre secteur « L’essence est l’une de nos plus grosses dépenses. Comme nos commerciaux se rendent chez nos clients, nous parcourons beaucoup de kilomètres avec nos voitures. Depuis le début de l’année, le prix de l’essence dans notre région est passé d’environ 3,65 $ le gallon à seulement 3 $ environ. Cette baisse d’environ 20 % est une véritable aubaine pour nous ».
L’impératif du crédit
Envolé le légendaire optimisme américain que les Français envient tant ? Pas tout à fait, l’explication est beaucoup plus rationnelle.
Chaque Américain a ce qu’on appelle une cote de crédit, qui varie de 300 (faible) à 850 (excellent). Si votre cote est de 400, vous représentez un risque pour les banques. À l’inverse, si vous affichez un vaillant 825 ou même un 775, vous représentez un risque minimal. C’est à partir de ce risque qu’on vous accordera des prêts, mais surtout, qu’on calculera votre taux d’intérêt.
Pour l’année 2024, le score moyen était de 715, mais il ne cache pas les disparités par État. Le Mississippi affiche un petit 675, tandis que le Minnesota brille avec un 730. Certains États ont régressé d’une année à l’autre, comme la Géorgie, la Californie ou la Floride. En 2021, le score de la Floride était de 707, en 2022, de 706 et pour l’année 2024, il tombe à 698. Même le Minnesota, tête du classement pour l’année 2024, a chuté, passant de 742 en 2021 et 2022 à 730 pour 2024.
Les Américains n’ont pas vraiment le choix : contrairement aux Français qui sont vus comme très vertueux par leurs banquiers s’ils ne dépensent pas, les Américains sont obligés de dépenser pour paraître séduisants auprès des institutions financières.
Il est plus intéressant de payer les courses au supermarché avec une carte de crédit et de rembourser la somme à la fin du mois, plutôt que de les payer comptant avec une carte de débit.
Une économie du coaching
Ce système fait les affaires de Becca, coach financier. Depuis la réélection de Donald Trump, elle enregistre une augmentation de clients et d’anxiété. Elle avait déjà rencontré ce phénomène au moment de l’épidémie de COVID. Son travail consiste à faire la chasse aux dépenses inutiles : « Certaines personnes ne savent pas par où commencer, ont besoin d’être responsabilisées pour rester sur la bonne voie ou n’ont tout simplement pas le temps de tout comprendre par elles-mêmes. C’est là qu’un coach peut faire toute la différence ».
Elle déplore des erreurs fréquentes, mais évitables : « Les erreurs courantes, comme ne pas savoir comment réduire les taux d’intérêt sur les dettes, repousser les investissements parce que cela semble insurmontable ou payer trop cher son assurance automobile simplement parce qu’on ne savait pas qu’il existait de meilleurs tarifs, peuvent finir par coûter bien plus cher que les services d’un coach financier ».
Aux États-Unis, tout le monde vit à crédit, mais il faut savoir les optimiser.
« Les taux d’intérêt peuvent rapidement transformer une dette gérable en un fardeau financier. Les différents types de dettes sont assortis de taux d’intérêt moyens différents. Les prêts hypothécaires ont généralement des taux relativement bas, tandis que les cartes de crédit ont souvent des taux beaucoup plus élevés, parfois supérieurs à 20 %, voire 30 % ».
Des dettes qui se transforment en fardeau et c’est la faillite. En 2024, on enregistrait 517 308 dossiers de faillites, soit une augmentation de 14,2 % par rapport à 2023. Sur ces 517 308 dossiers, 23 107 sont déposés par des entreprises et 494 201 par des particuliers.
La Bourse : la caisse de retraite des Américains
En dehors de la cote, il y a une autre très grande différence entre les États-Unis et la France : la retraite. En France, nous dépendons de l’État. Aux États-Unis, tout le monde — ou presque — se tourne vers la Bourse. Avoir un portefeuille d’actions est aussi commun pour un Américain qu’avoir un livret A pour un Français.
Il faut donc apprendre à gérer intelligemment, ce que fait Aaron « Si je retirais l’argent que je dépense actuellement, compte tenu de la nature instable du président Trump due à sa mauvaise santé mentale, je ne tirerais probablement pas autant de bénéfices de mon investissement que si j’attendais qu’il quitte ses fonctions et que le marché revienne à une situation plus stable. Cela ne vaut pas la peine de retirer mon investissement pendant une période instable. Je préfère attendre que la tempête passe, puis investir mon argent une fois que le calme sera revenu ».
Mais, tout le monde ne s’en sort pas correctement, comme le raconte cette personne qui a souhaité garder l’anonymat « J’ai été licencié d’un poste gouvernemental assez bien rémunéré en raison du ‘test de loyauté’ officieux imposé par Trump. J’ai depuis trouvé un autre emploi, mais beaucoup moins bien rémunéré. Mon pouvoir d’achat a donc diminué de moitié : je gagne moins et j’en ai moins pour mon argent ».
Si cette personne arrive à garder la tête hors de l’eau, c’est plus grâce à son mode de vie qu’à l’économie « J’ai toujours été assez économe, donc j’investis principalement en bourse. Je n’ai pas pu le faire. La plupart de mes économies étaient en bourse, et leur valeur a baissé d’environ 20 % à un moment donné, mais elle a depuis remonté et n’est plus qu’en baisse d’environ 8 %. Je voyage moins et je ne sors presque plus au restaurant. Je ne fais mes achats que dans des magasins d’occasion lorsque j’ai besoin de vêtements. Avant, je mangeais beaucoup d’œufs. Maintenant, je consomme davantage de haricots secs pour mon apport en protéines ».
Avec une inquiétude qui subsiste : le financement de sa retraite « j’ai travaillé pour l’État pendant plus de dix ans, donc je souhaite rester dans le système de retraite de l’État, ce qui limite mes options ».
Le signal envoyé par Moody’s
L’avenir n’est pas rassurant. Vendredi 16 mai 2025, Moody’s a abaissé la note des États-Unis, rétrogradant le pays de AAA à AA1, avec une perspective stable. La Maison-Blanche a balayé d’un revers de main la nouvelle avec un laconique « Personne ne prend ses analyses au sérieux. Il a été prouvé qu’il avait tort à maintes reprises ».
Moody’s justifie cette dégradation par l’échec de l’adoption d’un projet de loi qui devait concrétiser une prolongation des crédits d’impôt et des coupes budgétaires à hauteur de 880 milliards de dollars sur dix ans, coupes qui devaient concerner principalement les programmes d’assurance santé des Américains modestes.
Moody’s était la dernière agence à ne pas avoir rétrogradé la note américaine. Fitch l’avait fait en 2023. Standard and Poor’s Global Ratings l’avait fait en 2011.
Deux Amériques et plusieurs réalités économiques
Certains considèrent que Donald Trump a tenu ses promesses, comme cette mère de famille de l’Iowa « Depuis que le président Trump a repris ses fonctions, le prix des œufs dans mon magasin Walmart local est passé de plus de 50 cents l’œuf à moins de 30 cents l’œuf ! J’entends sans cesse dire que les prix vont augmenter considérablement et qu’il y aura des pénuries, mais jusqu’à présent, c’est plutôt le contraire qui semble se produire ».
Mais, en face, d’autres doivent jongler entre plusieurs emplois, un score à maintenir et des arbitrages serrés. Un même pays, deux trajectoires économiques et une fracture de plus en plus visible.