Élise Lucet s’attire les foudres de la Présidente de l’Assemblée nationale
Hier, mardi 11 février 2025, les députés qui passaient en salle des Quatre-Colonnes – salle de l’Assemblée nationale où les journalistes peuvent interpeller les élus – ont eu la surprise de croiser Élise Lucet, journaliste et présentatrice des émissions Envoyé Spécial et Cash Investigation. Cette dernière leur demandait de se soumettre volontairement à un dépistage de stupéfiants.
Si certains députés se sont prêtés au jeu et n’ont pas manqué de le relayer sur les réseaux sociaux, d’autres ont moins goûté à la plaisanterie. Ce test, sous l’œil gourmand de la caméra, intervient quelques jours après la déclaration d’Éric Piolle, maire de Grenoble, qui souhaitait soumettre les élus et ministres à des tests de détection de stupéfiants. Lui-même refuse cependant de l’instaurer dans son conseil municipal.
D’après nos informations, le test demandé aux députés et sa capture vidéo viendraient alimenter un reportage, diffusé le jeudi 13 février 2025, sur l’utilisation de stupéfiants par les élus. Celui-ci comporterait notamment une interview d’Andy Kerbrat, député qui s’était mis en retrait de son mandat pour soigner sa dépendance. Une enquête, menée par l’Assemblée nationale, est en cours concernant ses frais de mandat, afin de déterminer s’il les a utilisés pour acheter des stupéfiants.
Curieusement, les députés qui semblent s’être soumis au jeu d’Élise Lucet sont les mêmes qui avaient snobé Projet Arcadie en octobre dernier, lorsque celui-ci les avait sollicités pour parler de la dépendance, avec protection absolue de leur identité.
Tous les députés n’ont pas apprécié la mise en scène d’Élise Lucet, allant jusqu’à lui répondre qu’ils se soumettraient avec plaisir à un test de dépistage, lorsque les rédactions* elles-mêmes s’y prêteraient.
Naïma Moutchou, vice-présidente de l’Assemblée nationale, n’a pas apprécié la démarche. C’est donc en tant que présidente de la délégation chargée de la communication, de la presse et du patrimoine culturel et artistique de l’Assemblée nationale qu’elle a sollicité Yaël Braun-Pivet, par courrier.

En effet, à l’Assemblée nationale, les vice-présidents ne sont pas seulement chargés de présider les séances. Ils ont aussi des délégations sur des sujets spécifiques : les groupes d’études et d’amitié, la communication, le statut du député, etc.
La présidente de l’Assemblée nationale a promptement réagi, toujours par courrier. Dans sa missive adressée à Élise Lucet, elle lui rappelle les règles concernant les prises de vue au sein de l’Assemblée nationale. Elle soulève également un point mentionné par de nombreux députés : « Surtout, le fait de filmer les parlementaires en leur proposant un test salivaire me paraît particulièrement contestable, le refus légitime de s’y soumettre pouvant créer une suspicion à leur endroit. » Sous-entendu : vous avez refusé de vous soumettre à ce test, c’est donc que vous consommez des stupéfiants.

Notons que certains médicaments, parfaitement légaux et délivrés sur ordonnance, peuvent entraîner un résultat positif à un dépistage, alors même que la personne concernée ne consomme pas de stupéfiants.
Il ne peut y avoir de sanctions envers Élise Lucet, pas même une interdiction temporaire ou définitive d’accéder à l’Assemblée nationale. Néanmoins, il est plausible de penser que les journalistes accrédités permanents au Palais-Bourbon risquent de se voir imposer de nouvelles règles, encore plus contraignantes.
Au-delà de la mise en scène, la question de la dépendance à diverses substances reste entière à l’Assemblée nationale, aussi bien chez les élus que dans le personnel. Dans notre article de cet automne, des parlementaires avaient témoigné de leur besoin d’une béquille pour tenir le rythme insensé et de la pression sociale qui les incite à consommer de l’alcool plus que de raison.
L’absence de majorité n’est pas la seule cause de ce rythme effréné. Déjà en 2019, alors que l’Assemblée nationale affichait une majorité écrasante de députés LREM, beaucoup avaient indiqué souffrir de conditions de travail qui ne faisaient qu’accentuer des dépendances déjà existantes, voire en créer de nouvelles.
Si le sujet peut prêter à l’ironie, il convient de rappeler que ce rythme délirant est une spécificité française, qui n’existe pas dans les autres pays de l’Union européenne. Rares sont les parlements dans lesquels les députés siègent au-delà de minuit, voire en soirée. De nombreux pays sanctuarisent les agendas afin que les élus ne soient pas obligés d’être à trois endroits différents en même temps.
Des députés épuisés ou sous substance sont des députés qui légifèrent mal. S’il ne fallait prendre qu’un exemple récent pour illustrer ce propos, on pourrait évoquer le gigantesque cafouillage autour de la franchise de TVA pour les microentreprises.
*On tient à rassurer les lecteurs du Projet Arcadie : la seule substance à pour laquelle une dépendance est enregistrée au sein de la rédaction est le chocolat.