L’atonie généralisée semble frapper l’Assemblée nationale, y compris durant les QAG.
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L’ennui gagne-t-il les QAG ?

Faire des photographies durant les séances de Questions Au Gouvernement (QAG), c’est demander à l’objectif de capter une information que le cerveau n’enregistre pas sur le moment ou qui va se noyer dans un millier d’autres échos. C’est en reprenant les photographies sur ordinateur qu’on réalise qu’il se passe un drôle de phénomène pendant les QAG : la quasi-totalité des députés, mais également les ministres, font autre chose.

Évidemment, pas ceux qui sont en train de s’exprimer et le ministre qui doit répondre essaie d’avoir un air attentif. Mais, tous les autres vaquent à leurs occupations, le plus souvent, le nez collé dans leur smartphone.

Une lente usure de l’outil phare de contrôle de l’action du Gouvernement

L’ennui gagnerait-il les QAG ? C’était déjà le cas sous la XVe législature en réalité. À l’époque, certains députés ne s’embarrassaient pas et admettaient ouvertement sécher le rituel du mardi, qu’ils trouvaient inintéressant et soporifique, en dehors des éclats de voix des dix-sept députés de La France Insoumise.

Le phénomène ne s’est pas amélioré sous la XVIe, mais, en cette fin du mois de janvier 2025, on a pu voir un hémicycle avec approximativement 150 députés à la fin de la séance de QAG. Il y a eu un sursaut durant la question de Caroline Yadan, qui a eu pour effet de faire hurler la gauche de l’hémicycle, déjà bien remontée lorsque François Bayrou a parlé de « submersion » à propos de l’immigration. Joignant le geste à la parole, ils ont temporairement quitté la séance, pour y revenir en plus petit effectif.

Mais, même au début de la séance, l’hémicycle n’était pas complet. Faut-il y voir un lien de cause à effet de la disparition de ce moment sur France 3 ?

Les QAG, un vestige de l’Ancien Monde ?

Les anciens qui ont connu la XIIIe et XIVe législature le savent très bien : les QAG étaient le seul moment de la semaine à ne pas rater. Bien se placer dans le champ de la caméra, se lever comme un seul quand un membre du groupe s’exprime, pour se placer derrière lui, applaudir, parler très bruyamment, bref être visible et audible. Objectif : que les retraités puissent voir « leur » député. Car, si les actifs sont au travail à 15 h, les retraités avaient pris le pli de regarder la séance du mardi et du mercredi.

Et si les députés ne dédaignent surtout pas le vote des retraités — en atteste leur frilosité sur les abattements fiscaux — il semblerait qu’une partie d’entre eux aient décidé de se sécher ce qui est devenu l’exercice le plus rébarbatif qui soit juste après la discussion générale.

Ronronnements parlementaires

« On passe des textes, c’est calme, on avance gentiment. L’Assemblée ronronne, mais c’est vrai qu’il n’y a plus d’enjeu en ce moment » concède un connaisseur. Et c’est bien le problème : le budget a littéralement vampirisé les travaux de l’Assemblée nationale, dans son aspect le plus simpliste. Censure ou pas censure ?

« Les collègues sont en circonscription, à labourer le terrain pour la prochaine dissolution. Même sans dissolution, une fin de mandat arrive vite. Donc, il faut se montrer et c’est encore plus vrai pour les collègues qui ont été élus en juillet. Et tant qu’on n’a pas vraiment de budget, on ne peut pas faire grand-chose » explique une député de l’aile gauche de l’hémicycle.

En dehors du projet de loi sur la fin de vie, qui réussit à fédérer les députés de façon transpartisane, l’atmosphère est atone. Même le texte d’Aurore Bergé sur les violences sur les femmes et les enfants ne donne pas lieu à de grands discours enflammés, comme cette maison a pu en connaître.

La stupéfiante embellie sénatoriale

Si les députés s’ennuient, ce n’est pas le cas des sénateurs, qui planchent sur un texte visant à sortir la France du piège du narcotrafic. À la manœuvre, les sénateurs qui avaient travaillé sur la commission d’enquête sur le narcotrafic.

Le Gouvernement a tranquillement fait adopter un amendement expérimentant le renseignement algorithmique. D’autres mesures assez sensibles sont contenues dans ce texte, notamment une nouvelle organisation des services de police et de justice, une miniréforme des nullités ou des méthodes d’infiltrations.

L’astuce de ce texte est double. Il s’agit d’une proposition de loi, il n’y a pas donc pas besoin de s’encombrer de l’avis du Conseil d’État ni de faire une étude d’impact et cela donne l’impression qu’on écoute les parlementaires, même s’il s’agit surtout d’une partie des parlementaires. En cas d’échec, pour non-conformité avec la Constitution, la faute en reviendra aux sénateurs. En cas de victoire, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin raflent la mise politique. Le centre de gravité politique se déplace de plus en plus vers le Sénat.

Le drame de la Vᵉ République tient au fait que les députés sont liés au Gouvernement. Qu’on soit en cohabitation ou non, cela ne change rien : l’exécutif tient le calendrier et les cordons de la bourse. Dès lors, en dehors de textes sans enjeux budgétaires, visant à inaugurer des parcs de chrysanthèmes, rien ne voit le jour du côté de l’Assemblée nationale.

La France a-t-elle un Premier ministre ?

L’autre drame se joue à Matignon. Car, pour qui a accès au Conseil des ministres, quelque chose d’inédit se joue. Il ne s’y passe rien ou presque.

François Bayrou tient son premier Conseil des ministres le 3 janvier 2025. Un seul texte est inscrit : un décret portant transfert des missions de la direction de l’expertise nucléaire de défense et de sécurité au ministre de la Défense. Le 8 janvier 2025, l’ordre du jour est plus fourni : projet de loi d’urgence pour Mayotte, ratification d’une directive européenne, ratification d’une ordonnance relative aux marchés des cryptoactifs et projet de loi autorisant l’approbation d’un accord international.

Le 15 janvier 2025, encore une ratification d’ordonnance et un décret. Le 21 janvier 2025, une ratification de conventions cadres et deux décrets. Et pour le 28 janvier 2025, un projet de loi de ratification d’ordonnance et un décret.

Quelle est la vision politique de François Bayrou ? Personne ne la connaît. Aucun grand texte ne semble programmé, aucune réforme structurelle, on oserait presque dire, aucune vision chez l’homme qui a attendu sept ans d’être Premier ministre.

Combien de temps encore les députés et plus largement les Français patienteront-ils ? Nul ne peut réellement le prédire. Mais, parfois, un cliché pris en rafales laisse entrevoir certaines aspirations, comme une envie de retour.

Manuel Valls, ministre des outre-mer
Manuel Valls, ministre des outre-mer