
Faire payer aux détenus une partie des frais d’incarcération : une prime à la non-activité
L’actuel Garde des Sceaux, Gérald Darmanin, a accordé une interview à nos confrères de TF1, durant laquelle il a formulé une proposition détonante : « Jusqu’à 2003, les détenus participaient aux frais d’incarcération. Comme il y a un forfait hospitalier, il y avait un forfait de présence dans la prison. Je vais rétablir ces frais d’incarcération. »
Pour se justifier, Gérald Darmanin avance l’argument suivant : « Nous allons travailler ensemble pour que ce soit un montant qui soit symbolique, mais important pour qu’on arrête avec une sorte de laxisme qui existe dans nos prisons françaises », et de conclure en indiquant que « la somme récoltée ira directement à l’amélioration » des conditions de travail des agents pénitentiaires.
Une pratique abandonnée en 2003 pour les détenus
Jusqu’en 2003, les personnes détenues en France voyaient en effet leur compte nominatif ponctionné au titre des « frais d’entretien ». Ce compte, qui existe toujours, ouvert à leur arrivée en détention, leur permet de percevoir de l’argent de leurs proches pour cantiner, rembourser les victimes ou se constituer une épargne.
En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, le gouvernement présente une loi d’orientation et de programmation pour la Justice, portée par Dominique Perben (UMP, ancêtre des Républicains). À l’origine, le projet de loi ne mentionne pas les frais d’entretien. Mais le sénateur Paul Loridant, fort d’un long rapport d’enquête sur les prisons, profite de l’occasion pour insérer un amendement : l’amendement n°7, ajoutant un article 32 bis.
Celui-ci visait à amender l’article 720 du Code de procédure pénale de la manière suivante : « Le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire. »
Un amendement motivé par l’équité envers les victimes
Contrairement à ce que pourrait laisser penser Gérald Darmanin, il ne s’agissait pas de promouvoir l’oisiveté en détention. Comme l’indique le compte rendu de séance : « Il faut savoir que les détenus qui travaillent, à l’exception de ceux qui sont affectés au service général, se voient prélever sur leur rémunération des ‘frais d’entretien’ de 45,73 euros par mois, alors qu’un détenu qui ne travaille pas, qui reçoit par exemple des mandats de sa famille, ne fait pas l’objet de ponctions. Cette situation nous paraît singulièrement injuste, la ponction opérée constituant une ‘contre-incitation’ au travail. »
Si le secrétaire d’État s’était opposé à cet amendement, il ne fut pas suivi par les sénateurs, qui l’adoptèrent en commission. L’objectif affiché était de privilégier l’indemnisation des victimes, les ressources des détenus étant limitées.
L’article 32 bis sera supprimé en séance publique à l’Assemblée nationale. Toutefois, les sénateurs, tenaces, parviendront à imposer leur vision en commission mixte paritaire, comme le souligne le compte rendu : « Il était en effet choquant que ce prélèvement ponctionne les détenus ayant décidé de travailler pendant la détention sans s’appliquer aux détenus refusant de travailler. La mesure adoptée présentera en outre l’avantage de libérer les personnels assurant la gestion des prélèvements pour d’autres tâches plus valorisantes. ».
L’article 32 bis verra le jour en devenant l’article 51.
Sursaut récurrent
Depuis lors, plusieurs tentatives parlementaires ont été faites pour rétablir ces frais d’entretien. La dernière en date remonte à mars 2025, portée par le député Christophe Naegelen.
Selon l’Observatoire international des prisons (OIP), seuls 31 % des détenus travaillent, soit environ 22 000 personnes. Le travail en détention n’est pas un droit automatique : il faut en faire la demande, qui peut être acceptée ou refusée, et pour lequel, la rémunération est sans rapport avec celle que toucherait le détenu en liberté.
Pour remettre en place les frais d’entretien, il faudrait donc modifier l’article 717-3 du Code de procédure pénale, anciennement article 720. Si la droite et l’extrême droite y sont favorables, le soutien de la gauche et du centre est loin d’être acquis, d’autant que cette réforme pourrait réduire les capacités d’indemnisation des victimes.
Le choix d’une méthode lâche
Un dernier point mérite d’être souligné : Gérald Darmanin a précisé qu’il soutiendrait des propositions de loi visant à restaurer les frais d’entretien, plutôt qu’un projet de loi gouvernemental.
Cette voie présente un avantage tactique : les propositions de loi ne nécessitent ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État, contrairement aux projets de loi.
Bruno Retailleau avait d’ailleurs utilisé cette même stratégie pour la proposition de loi contre le narcotrafic, qui sera définitivement adoptée ce mardi 29 avril 2025, après les Questions au Gouvernement.
Plutôt que d’affronter les critiques, les ministres semblent avoir pris le pli de déléguer les dossiers problématiques aux parlementaires.