Favori au départ, Simion a tout gâché en chemin, par arrogance.
Radio-Buvette

George Simion : autopsie d’un échec présidentiel

Les proeuropéens ont poussé – parfois bien avant que les résultats finaux ne soient disponibles – un soupir de soulagement en constatant la victoire de Nicușor Dan au second tour de l’élection présidentielle roumaine.

Alors que Simion était donné favori pour ce second tour, en tête au premier et en position favorable même sans le report de voix de Ponta, il a perdu l’élection. D’où la question : que s’est-il passé ?

Simion a péché par excès d’orgueil, et si les Roumains pardonnent beaucoup de choses, l’arrogance n’en fait pas partie.

Une désertion quasi totale des débats

Comme en France, durant l’entre-deux-tours, il est de bon ton que les candidats se confrontent lors de débats télévisés. Et plus encore qu’en France – en cela, les Roumains ressemblent aux Russes – la télévision reste reine.

Or, Simion n’a participé qu’à un seul débat face à Dan, sur Euronews, qui ne lui a pas été favorable. Par la suite, il a esquivé tous les débats, sans jamais l’annoncer franchement. À tel point que certains internautes ont détourné le bulletin de vote sur les réseaux sociaux en illustrant Simion par une chaise vide.

Ainsi, il a fait lanterner TVR – l’équivalent de France Télévisions – le jeudi 15 mai 2025, jusqu’à la dernière minute, pour finalement déclarer qu’il n’était pas disponible.

Et pour cause : il était en France.

Le crash sur CNews

Si CNews et ses intervenants semblaient ravis d’accueillir Simion en plateau, leur enthousiasme s’est vite émoussé au cours de l’émission.

Naïvement, on aurait pu penser que Simion venait sur CNews pour s’adresser à la diaspora. Il n’a eu aucun mot pour elle, ni véritablement pour les Roumains. Durant l’émission, il s’est surtout illustré par des insultes envers Emmanuel Macron et la France, comparée à l’Iran, ainsi que par des propos facilement qualifiables de transphobes. Nos confrères en Roumanie ont bien noté les mines déconfites des chroniqueurs, allant jusqu’à s’amuser du fait que certains défendaient le Président français.

L’interview, largement relayée en Roumanie quasiment en direct, a suscité l’hilarité. Pourquoi ? À cause de sa maîtrise du français. Simion s’était vanté d’avoir obtenu la note maximale au baccalauréat en français. Sur CNews, il a buté sur plusieurs mots et a fini par ne parler qu’en roumain.

L’ombre de Georgescu

Simion avait annoncé à plusieurs reprises qu’il nommerait Georgescu comme Premier ministre, au mépris de la culture politique roumaine. En effet, lorsqu’un président est élu, il est d’usage qu’une coalition se forme pour désigner un Premier ministre et un gouvernement représentatif du Parlement.

Simion posait donc ses conditions : à lui les affaires étrangères, à Georgescu la gestion du pays. Avec quelle majorité parlementaire ? Même en additionnant SOS Romania et le POT, l’opposition avec AUR ne représente que 35 %.

Georgescu n’a ni parti, ni élu au Parlement, donc aucune légitimité.

Le flirt avec Trump

La Roumanie a adhéré à l’OTAN bien avant d’intégrer l’Union européenne, mais partenariat américain ne signifie pas allégeance totale au président des États-Unis en exercice.

Or, Simion s’est quasiment présenté en valet de Donald Trump, allant jusqu’à lui demander des sanctions diplomatiques par la suppression des exemptions de visa, en réaction à l’annulation du premier tour en 2024.

Simion a ainsi montré que les intérêts de la Roumanie passaient au second plan, ce qui est pour le moins paradoxal pour un candidat se réclamant du souverainisme.

Volte-face hongroise

En Roumanie, existe un « petit sujet » qui n’a rien de mineur : la minorité hongroise – une communauté dotée de son propre parti politique, représenté au Parlement. Ce n’est ni un parti régionaliste à la française, ni un mouvement indépendantiste à l’espagnole.

Ce sont des Roumains dont les ascendants étaient hongrois, devenus citoyens roumains à la faveur de l’histoire. On s’en tiendra là pour éviter de rallumer un conflit.

Or, lors de sa tournée des leaders conservateurs et réactionnaires en Europe, Simion a contourné l’UDMR, le parti de la minorité hongroise. Tandis qu’il posait aux côtés de Viktor Orbán, l’UDMR menait campagne contre lui.

Le terrain européen au détriment du terrain national

C’est un fait établi : la diaspora pèse dans le vote. Pour autant, enchaîner les événements avec Giorgia Meloni, Marion Maréchal et d’autres dirigeants ne rapporte pas de voix.

Pendant que Dan et ses partisans sillonnaient la campagne profonde, diffusant leurs éléments de langage et valorisant les réalisations de celui qui était encore maire de Bucarest, Simion multipliait vidéos et selfies sur TikTok et Instagram, dans des cadres soignés.

À l’inverse, sur les réseaux, Dan parlait programme, montrait des citoyens et prouvait qu’il faisait campagne sur le terrain. La stratégie de Simion est d’autant moins efficace en l’absence de programme.

Une absence de programme

C’était l’éléphant dans la pièce de cette élection, et la raison pour laquelle les Roumains attendaient les débats : quel est le programme de George Simion ?

On ne le sait toujours pas. En réalité, il n’en avait pas. Au détour d’une publication Instagram, quelques jours avant le premier tour, on a fini par apprendre que le « plan Simion » serait mis en œuvre.

Dans un pays en pleine crise immobilière, le sujet méritait débat. Mais en ayant esquivé quasiment tous les débats, Simion n’avait rien de concret à proposer. Dan, lui, avait un programme – et un bilan à défendre en tant qu’ancien maire.

Un manque d’expérience politique et professionnelle

La Roumanie, comme la France, aime ses maires et élus locaux. Dan avait pour lui son expérience de maire de Bucarest – tout comme Lasconi, finaliste en 2024, est maire de Câmpulung.

Il pouvait donc défendre un bilan. Simion, lui, n’a que de la rhétorique politicienne.

Pire : il ne dispose pas d’expérience professionnelle solide. Une entreprise créée en 2009 a périclité, et il a reconnu une fraude fiscale. Il a brièvement été journaliste avant de rejoindre l’entreprise de son ami Marius Lulea comme directeur marketing.

La tronçonneuse version Simion

Question : dans un pays où un tiers des actifs sont partis travailler à l’étranger, qui reste ? Des professions ancrées localement – avocats, notaires – les commerçants, les fonctionnaires. Il reste aussi des salariés du privé et des professions libérales comme les médecins.

Selon le ministère roumain des Finances, fin 2024, il y avait 1 300 297 fonctionnaires en Roumanie. Annoncer la suppression de 500 000 postes dans la fonction publique n’était peut-être pas l’idée du siècle. En somme, Simion a fait une « Fillon ».

Les qualifier de « parasites sociaux » non plus. Certes, nul ne nie que l’administration roumaine gagnerait à être modernisée, mais il vaut mieux attendre d’être élu avant de parler de coupes claires.

L’effondrement du leu

L’information est passée inaperçue en France, mais en Roumanie, nombre d’investisseurs et d’épargnants ont transpiré ces dernières semaines.

La monnaie nationale – le leu (lei au pluriel) – s’est effondrée. Si la fin 2024 n’avait pas connu de secousses majeures, le premier tour de 2025 a précipité la chute, entraînant la démission du gouvernement. Résultat : les investisseurs étrangers se montrent frileux.

Qui dit dévaluation dit hausse des prix, dans un contexte dans lequel l’inflation est déjà à 4,9 %, avec un risque accru de taux d’intérêt plus élevés.

Et demain, au travail

Cette nuit, Nicușor Dan s’est adressé aux Roumains et a conclu ainsi : « Et demain, au travail ! ». L’heure n’est plus à la fête. Il va falloir réconcilier les Roumains.

Simion a perdu, mais plus de 5 millions de citoyens ont voté pour lui.

La question demeure : pourquoi ? Il est d’ailleurs possible que si Antonescu s’était qualifié pour le second tour, Simion aurait pu l’emporter. Car Dan et Simion ont un point commun : ils sont hors des appareils politiques traditionnels. Dan était un candidat indépendant ; Simion, un trublion. Les Roumains ont préféré le mathématicien à l’influenceur.

Un immense chantier attend désormais le nouveau président : réconcilier les Roumains, non pas avec la politique, mais avec les partis, avec le système démocratique, et, comme en France, leur montrer qu’ils comptent.