La commission spéciale sur la crise du logement a tenu sa première réunion et il n’est pas impossible que AirBnB vive ses dernières heures en Europe.
L'Europe

Interdire AirBnB en Europe : Dan Jørgensen n’exclut pas cette hypothèse

La crise du logement touche toute l’Europe. Chers Français, si vous êtes confrontés à des difficultés pour vous loger, sachez que vous n’êtes pas seuls : cette problématique concerne l’ensemble des pays européens.

Créée à l’initiative d’Ursula von der Leyen, une commission spéciale sur la crise du logement dans l’Union européenne a entamé ses travaux cette semaine, avec l’audition de Dan Jørgensen, commissaire au logement et à l’énergie.

Un constat alarmant

Les chiffres dressés lors de cette audition sont sans appel. En quinze ans, les loyers ont augmenté de 25 % à l’échelle européenne.

En 2023, 10 % des Européens consacraient plus de 40 % de leurs revenus disponibles au logement. Par ailleurs, on dénombre aujourd’hui 900 000 sans-abris, soit l’équivalent de la population de Marseille ou de Turin.

Au Portugal, les loyers ont doublé, obligeant les habitants à consacrer 46 % de leurs revenus au logement. En Irlande, 5 000 enfants dorment dans la rue.

Une crise sociale devenue économique

La crise du logement ne relève plus seulement de l’urgence sociale. Elle devient une entrave à la bonne santé économique de nombreux territoires. Incapables de se loger près de leur lieu de travail, certains professionnels désertent des zones entières.

Ce phénomène touche notamment le personnel soignant ou les pompiers, fragilisant ainsi la compétitivité et l’économie locale. Certaines villes deviennent littéralement obèses, tandis que des villages ou des villes moyennes sont quasiment laissés à l’abandon, faute d’infrastructures suffisantes pour attirer les familles et les jeunes.

Conscient de cet enjeu, Dan Jørgensen entend remédier à la situation. Cette audition a permis d’appeler les eurodéputés à travailler à ses côtés. Le consensus, maître-mot du Parlement européen, semble de mise : tous les groupes politiques ont fait remonter leurs problématiques nationales, révélant une forme d’unanimité sur plusieurs constats.

AirBnB dans le viseur

Premier coupable appelé à la barre : les plateformes de locations touristiques, et plus particulièrement AirBnB. Même sans être toujours nommée, la plateforme a été évoquée dans la quasi-totalité des interventions, tous groupes confondus.

La députée Leïla Chaibi a directement posé la question : faut-il s’attendre à une interdiction pure et simple de ce type de location à l’avenir ? Si Dan Jørgensen ne s’est pas montré fermé à cette hypothèse, il a néanmoins appelé à collecter un maximum d’informations sur les effets de telles mesures, notamment dans les villes ayant déjà restreint fortement les locations touristiques.

Il a également rappelé l’importance du principe de subsidiarité, selon lequel l’Union européenne fixe un cadre général, sans se substituer aux États membres. Pour dire les choses plus simplement, l’Union européenne ne peut pas passer par-dessus la tête de ses États membres.

Le surtourisme et la fiscalité en question

L’essor des plateformes touristiques ne pose pas uniquement un problème de logement. Le groupe S&D a alerté sur les conséquences du surtourisme et a suggéré une refonte de la fiscalité liée à ces locations. Là encore, Dan Jørgensen n’a écarté aucune piste.

Sur ce point, Nora Mebarek a été rejointe par le PPE, qui a souligné la spécificité des zones rurales, mais aussi des zones insulaires et des centres-villes historiques.

Encadrement de la financiarisation de l’immobilier

Autre sujet de préoccupation : la financiarisation croissante du secteur immobilier. Leïla Chaibi a proposé la création d’un registre de transparence des fonds d’investissement étrangers.

Les groupes Verts et S&D ont pointé du doigt l’impact de cette financiarisation sur la flambée des loyers et appellent à une rationalisation de la financiarisation.

Même le PPE (Parti Populaire Européen), habituellement plus libéral, s’est dit favorable à une réflexion sur un encadrement de ces augmentations, conscient que la majorité des Européens sont pénalisés.

À cela, Dan Jørgensen a clairement répondu que les marchés financiers avaient une responsabilité dans la crise actuelle.

Des approches divergentes entre les groupes

Si la gauche a surtout concentré ses interventions sur les locations touristiques, la financiarisation et l’éventuelle mise en place d’un cadre européen pour plafonner les loyers, la droite et l’extrême-droite (PPE et ECR) se sont davantage penchées sur la difficile conciliation entre normes environnementales et logements abordables.

En effet, il suffit de parcourir les annonces immobilières pour constater que les logements les plus respectueux de l’environnement sont souvent les plus chers, ou situés dans des zones mal desservies. Ce paradoxe écologique, où le recours à la voiture annule les bénéfices environnementaux, aggrave la fracture entre zones urbaines et périphériques.

Le PPE a également alerté sur la situation des jeunes, de la classe moyenne et des personnes âgées, tous confrontés à des difficultés croissantes pour se loger. Il a également souligné les fractures entre centres-villes historiques prisés et périphéries délaissées, sans oublier les villages désertés par les jeunes générations faute d’infrastructures adaptées.

Le point n’a pas été relevé en commission, mais ce phénomène de désertion due à l’impossibilité de se loger concerne aussi les zones insulaires, notamment celles qui ne vivent que du tourisme. La flambée des loyers et l’indisponibilité du foncier ont fait fuir les saisonniers, qui renoncent à venir travailler, ce qui entraîne des pénuries de main-d’œuvre. Le cas est flagrant dans les Baléares.

Un consensus fragile sur les procédures de construction

Renew, fidèle à sa position centriste, a tenté de faire le lien entre les positions de la gauche et de la droite en pointant la complexité et la longueur des procédures pour obtenir des permis de construire. Le PPE a appuyé cette demande de simplification des normes et des démarches administratives.

Un calendrier et quelques pistes concrètes

Dan Jørgensen a martelé que toutes les hypothèses restaient ouvertes. Il a toutefois dévoilé deux mesures concrètes.

D’abord, la création d’une plateforme paneuropéenne d’investissements pour le logement abordable et durable, en partenariat avec la Banque Européenne d’Investissement, qui mobilisera dix milliards d’euros.

Isabelle Le Callennec a demandé des précisions sur la répartition de ces financements : bénéficieront-ils aux particuliers, aux professionnels, aux collectivités ?

Autre question en suspens : les investissements dans le logement seront-ils exclus de la règle des 3 % de déficit ? Sur ce point, Dan Jørgensen est resté évasif et pour cause, cela ne relève pas de sa compétence.

Enfin, concernant le calendrier, la commission spéciale travaillera durant un an, collectant données et témoignages. L’objectif affiché est d’aboutir à une grande loi européenne sur le logement d’ici février 2026. Il a appelé les parlementaires à lui fournir toutes les informations utiles, afin d’arriver à concilier toutes les sensibilités.

Quelle place pour la France dans ce cadre européen ?

Dès lors, une question se pose au niveau national .

Est-il pertinent — en dehors des éventuelles niches fiscales pour favoriser l’accession à la propriété ou des aides au logement — de laisser le législateur français aux manettes ou vaut-il mieux attendre que les instances européennes arrivent avec un package clef en main ?

En France, des mesures ont déjà vu le jour pour essayer de réglementer les locations touristiques meublées de type AirBnB, mais les fonds manquent cruellement, aussi bien pour les propriétaires qui voudraient sortir leurs biens de la catégorie passoire thermique que du côté des locataires, qui ne trouvent tout simplement plus de biens.

Une certitude : la pression monte sur AirBnB

Si une seule chose semble certaine à ce stade, c’est que la coalition européenne contre AirBnB ne cesse de s’élargir. L’hypothèse d’une interdiction totale de la plateforme sur le sol européen n’a jamais paru aussi plausible.