François-Michel Lambert devant la Coupe du Monde
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L’interview de François-Michel Lambert

Devenu député en 2012, François-Michel Lambert entame son second mandat dans le groupe LREM, avant de rejoindre le groupe Libertés et Territoires en janvier 2018. Il est très investi sur les thématiques en lien avec l’environnement et l’écologie.


C’est votre second, oserais-je dire deuxième, mandat en tant que député. Avez-vous des regrets de l’Ancien Monde ou le Nouveau Monde vous convient-il mieux ?

Je ne dirais pas Ancien Monde et Nouveau Monde, mais le monde réel et celui superficiel d’une majorité qui confond le sens du politique et le service inconditionnel à un homme, quitte à n’être que dans le superficiel, loin des réalités du quotidien, encore moins des urgences sociales et environnementales.

En début de mandat, vous aviez fait parler de vous, en disant que si la loi pour la confiance dans la vie publique était votée, avec l’interdiction de salarier son conjoint, vous présenteriez votre démission. Qu’est qui vous a fait changer d’avis sur le sujet ?

Cette déclaration était avant le deuxième mandat ! Les raisons de ce changement sont personnelles. Par contre, les conséquences sont colossales, elles ont tellement fragilisé notre couple que nous sommes aujourd’hui séparés. Une loi de stigmatisation, une de plus, qui n’a rien changé sur le fond si ce n’est de monter les Français les uns contre les autres, de créer toujours plus de suspicion et toujours moins de contrôle puisque les emplois fictifs perdurent. Certaines personnes au sein de LREM se sont permis de ne pas la respecter, puis ont indiqué que de bonne foi, ils n’avaient pas pensé déclarer leur union avec leur collaborateur… cette loi est l’illustration parfaite de l’agitation médiatique permanente de LREM qui ne respecte pas la loi et ne change rien sur le problème de fond…

Avec la campagne électorale qui commence, les thématiques liées à l’écologie sont assez présentes. Vous avez d’ailleurs présenté une proposition de loi instituant un impôt de solidarité écologique sur la fortune. Bien qu’elle n’ait pas été examinée par la commission des finances, pensez-vous qu’elle aurait passé le filtre du si redouté article 40 ?

Elle a été plusieurs fois présentée sous forme d’amendements. Le vrai filtre à redouter, c’est celui de la majorité LREM aux ordres, le paroxysme de l’effacement de la démocratie parlementaire pour se retrouver sous un présidentialisme qui amène au culte du chef… je rêve d’une démocratie à l’allemande ou l’espagnole qui oblige tout à la fois à créer des alliances (donc de coopérer et d’écouter) et de cogouverner avec les collectivités locales. La France est une faible démocratie.

L’un de vos combats concerne la légalisation du cannabis. Votre proposition de loi sur cette thématique a été examinée en commission, mais n’a pas encore « atteint » si on peut dire les choses ainsi la séance publique. Sur ce sujet, le Gouvernement a durci le ton, notamment le ministre de l’Intérieur. Pourtant, les députés — y compris ceux de la majorité — ne sont pas en parfaite symbiose avec le locataire de la place Beauvau sur ce sujet. Pensez-vous qu’il serait possible que votre texte soit voté, au moins à l’Assemblée nationale ?

La légalisation du cannabis est très largement partagée à l’Assemblée nationale comme dans l’opinion publique. Malheureusement, la présidentielle est venue perturber cette possibilité d’une majorité sur ce sujet. Les calculs politiciens pour siphonner les voix des LR (seulement 35 % des sympathisants LR sont pour, contre entre 55 et 80 % pour tous les autres partis, y compris LREM) prend le dessus sur l’intérêt général. Il s’agit donc pour Emmanuel Macron d’envoyer des signaux à une droite rabougrie pour espérer la conquérir, quitte à laisser des millions de Français dans une situation délicate, voire très difficile vis-à-vis du cannabis. Quand on sait que la prohibition, c’est un échec patent, 1 milliard d’Euro de coût annuel, des morts, des risques sanitaires colossaux avec des produits frelatés, des territoires perdus au profit de mafias, des policiers épuisés… et que cela n’a aucun sens dans une approche géopolitique puisque tous les pays frontaliers de l’hexagone sont sur la voie de la légalisation ou dépénalisation. La France ne pourra pas être à rebours sur ce sujet de société, comme elle ne peut pas l’être sur l’IVG ou la fin de vie.
Cette légalisation se fera, quel que soit la présidente ou le président de la République d’ici à 2025 !

Si vous vous représentez l’année prochaine, la légalisation du cannabis fera-t-elle partie des sujets que vous continuerez à porter ? 

Cette légalisation se fera, quel que soit la présidente ou le président de la République d’ici à 2025 ! Pour des raisons de santé publique, de sécurité, d’égalité territoriale, économique (1 milliard d’économies et 3 à 4 milliards de recettes fiscales directes et indirectes, c’est bon pour le budget) et même d’écologie, car le cannabis est bon pour régénérer les terres et pour fixer le CO2 dans le sol (répond à l’objectif du 4/1000). Très probablement, d’autres prendront les lauriers de cette légalisation, ce n’est pas grave, ce n’est pas la première fois que je vois des sujets que je porte, bloqués par la majorité puis repris et votés allègrement avec le nom d’un collègue en tête. Le principal, c’est le sens de la société que l’on écrit. Sur le cannabis, c’est long, trop long au regard de ce que souffre tant de personnes en France.

Revenons à l’écologie. Vous avez créé l’institut national de l’économie circulaire. Pour les internautes qui découvrent le sujet, quel est le lien entre l’économie circulaire et l’écologie ? 

L’écologie est en tout, de l’idée de société aux engagements environnementaux. Peut-être que vous pensiez environnement. Je vais vous répondre écologie. L’économie circulaire est l’approche écologique par excellence ! Il s’agit de préserver les ressources disponibles, de les utiliser avec le plus haut niveau d’efficience et en fin d’usage de les réintégrer dans la boucle. C’est-à-dire de créer le maximum de richesses (économique, sociale, humaine) par kilo de matière mobilisée, dans une démarche d’amélioration continue, de toujours aller plus loin non pas dans la consommation, mais dans l’efficience de l’usage des matières.

Notre planète dispose de ressources en quantités colossales, mais limitées. Notre modèle de développement occidental ne tient pas compte de ces limites. Tant que nous sommes 500 millions à « taper » dans le stock, ça va. Or, nous assistons à une montée très rapide des classes sociales moyennes et supérieures pour très bientôt être 3 milliards à vivre selon le modèle de gaspillage occidental. Le stock de notre planète n’aura pas grossi d’une tonne, pas de planète B qui viendrait se garer à côté de la nôtre. Nous devons donc gérer cette rareté qu’est notre planète et transformer notre modèle en les posant sur ces fondements. Partager, intensifier l’usage, réutiliser, remployer, régénérer les ressources sont les fondements de l’économie circulaire. Tout est dans la loi TECV de 2015 [NDLR : loi de transition énergétique pour la croissance verte]… Mais depuis 2017, on ne parle que de recyclage, pas d’économie circulaire. 

En France — et certains mouvements sociaux et sociétaux l’ont démontré —, l’écologie est perçue comme punitive. Comment l’expliquez-vous ? 

L’élu, qu’il soit local ou national dispose de quatre leviers pour agir. Toujours les mêmes. 

  • Fiscalité : rendre plus ou moins cher un produit ; 
  • réglementaire : encadrer entre interdiction et obligation ;
  • inciter : aides économiques ou de reconnaissance (labels, certificats…) ;
  • changement des compétences et des comportements pour accompagner ; 

Ces quatre leviers doivent être actionnés de façon coordonnée et planifiée, si nécessaire réajustés 

Et il faut les actionner de façon coordonnée dans le cadre d’un objectif clair et partagé. C’est le cinquième levier de l’action politique, c’est la démocratie qui oblige à partager le projet, l’horizon, avec son peuple. Il fait notamment référence à la démocratie participative. Il invite aussi à ne pas oublier que nous ne sommes pas un peuple coupé des autres, il est nécessaire d’y adjoindre la diplomatie, partager cet horizon et les actions avec les autres pays.

En résumé : nous avons besoin d’un vice Premier ministre dédié à cette tâche (un de mes amendements systématiquement repoussés) et un chef d’État qui sait transmettre le projet à la population et aux partenaires de la France… vous constaterez que l’on en est loin !

Autre pomme de discorde concernant l’écologie, la place de la France : si on peut effectivement changer certaines choses, nos efforts ne pèsent pas lourd face à des États extrêmement pollueurs tels que la Chine, la Fédération de Russie ou l’Inde. La sauvegarde de la planète est-elle vouée à l’échec ?

Ah bon ? Quand un Chinois génère deux à six fois moins de CO2 net par habitant que nous ! En France, on se cache derrière le CO2 déporté dans les produits utilisés en France, mais fabriqués à l’étranger, c’est le pays qui fabrique qui porte le poids CO2 de ce produit. Idem sur les ressources consommées, on ne prend pas en compte celles utilisées lors de la fabrication. Tout ceci se révèle avec les crises COVID-19 et maintenant la rupture d’approvisionnement ou l’explosion des coûts matières et énergie. Transformer notre modèle est indispensable, cela passe par une nouvelle façon de compter la richesse, les richesses, par plus de coopération et de partage notamment d’usage, de modèle même du rôle de l’individu dans la société. 

Alors que vous êtes très investi sur les questions écologiques, vous êtes membre du groupe d’études chasse, pêche et territoires. N’est-ce pas contradictoire ? 

C’est quoi cette question à deux balles ?

En quoi pêche, chasse et territoires ne sont pas l’écologie ? En quoi les pêcheurs les chasseurs et les ruraux ne sont pas écolos ? Je ne comprends pas la question. À moins que vous confondiez sensiblerie et écologie ? Je ne suis pas certain qu’un végane qui a trois chats avec des litières végétales et des croquettes de luxe, qui passe son temps en Zoom, déplacements en avion à l’autre bout du monde, surconsomme textile et technologie et regarde en streaming dans le taxi les vidéos des dernières séries soit plus écolo. Je pense même qu’il participe par son mode de vie à détruire la faune et la flore, à bousiller la vie de pauvres gens, que le chasseur ou le pêcheur qui vit dans son village fait 3 000 km par an et regarde la télé sur un téléviseur de dix ans. Tout en ayant trois pantalons et quatre chemises reprisées. Terrifiant cette bien-pensance que s’autorisent ceux qui ont accès aux médias au détriment de ceux qui en sont éloignés. Prenez le temps de mesurer la bêtise que peut être d’interdire la chasse à la glu, la seule chasse qui n’a pas vocation à tuer l’animal.

Chaque député se voit demander une photo qui illustre son mandat. Pourquoi avez-vous choisi celle-ci ? Que raconte-t-elle de particulier ? 

Champion du monde, on peut l’être si on est en capacité de penser et servir le collectif, de poursuivre l’histoire et la culture portées par nos prédécesseurs, si l’humilité et l’engagement pour tous est mis en avant. En 2018, pas de star dans l’équipe de France, pas un Messi ou un Neymar à servir avant le collectif, des joueurs qui se sacrifient, une victoire collective. Ce fut la même chose en 1998. Que cela nous serve aussi dans notre engagement d’élus, il ne doit plus y avoir de Président ou de leader monarque, il y a un collectif et enfin des résultats qui nous dépasseront. 

Savez-vous déjà si vous vous représenterez l’année prochaine ? 

La question est plutôt pour quoi faire ?

À titre perso, ma motivation principale c’est avoir la carte de député honoraire qui me garantit l’accès à vie à la buvette.

Et en tant que militant engagé depuis trente ans, c’est avoir encore cinq ans d’un formidable « outil » pour changer les choses. Les fameux 4 leviers + 1. Il y a urgence et nous avons perdu cinq ans depuis 2017. Je pensais vivre le même rythme de transformation en profondeur que lors du premier mandat.

J’ai surtout vu des écrans de fumée dans de beaux discours pour, au mieux, constater une stagnation des dynamiques lancées depuis le Grenelle de 2007, renforcées sur les lois de 2012-2017. Maintenant, on est à la marge des sujets, voire on recule comme par exemple sur le sujet logistique qui est passé d’un levier au service du politique pour la mise en œuvre des orientations politiques par des changements de modèles organisationnels (Supply Chain), à une filière économique faite de camions et d’entrepôts qu’il faut aider juste pour les emplois qu’elle porte sans se poser de questions sur sa fonction. Comme si on avait aidé les maréchaux-ferrants et les cochers, sans poser la question de leur rôle et de leur apport au développement de notre société. Moi, ça ne m’intéresse pas d’aider les camions et les entrepôts, ce qui m’intéresse c’est de savoir comment on change les modèles et donc les systèmes organisationnels associés pour répondre aux défis. Cela s’appelle « logistique » ou « Supply Chain ». La crise du COVID-19 a révélé l’absence complète de compréhension, que la logistique, ce n’est pas transporter mais bien de maîtriser la chaîne d’approvisionnement et d’assurer son agilité face aux imprévus. C’est la stratégie que j’avais remise à Emmanuel Macron ministre, en mars 2016, France logistique 2025. Qu’est-elle devenue en septembre 2017 ? Enterrée ! C’est ma question posée un 24 mars 2020 dans l’hémicycle tétanisé par la crise COVID-19 « Que l’État se dote d’une expertise en logistique en urgence ». En septembre 2021, on en est encore très loin.