Jean-Charles Colas-Roy à l'université de Grenoble
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L’interview de Jean-Charles Colas-Roy

Investi professionnellement sur le sujet des énergies propres, le député Jean-Charles Colas-Roy a décidé de mettre ses connaissances professionnelles au profit de son mandat de député et de travailler sur les énergies. 


Vous êtes titulaire du conseil d’administration de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Tout d’abord, expliquez-nous quel est cet organisme extraparlementaire. 

L’ADEME est un établissement public placé sous la tutelle des ministères de la Transition écologique et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’agence s’occupe de la mise en œuvre de la transition écologique et énergétique en France. Elle assure des missions d’accompagnement, réalise des études, et alloue des financements. Elle compte environ 1 000 salariés et dispose d’un budget de 757 millions d’euros pour 2021 (hors plan de relance). Elle est actuellement présidée par Arnaud Leroy.

Le conseil d’administration, auquel j’appartiens, rassemble plusieurs représentants de l’État, des collectivités territoriales, des experts ainsi que des représentants du personnel. J’y siège depuis 2017, ainsi qu’un collègue sénateur du Maine-et-Loire, Joël Bigot, afin de représenter le Parlement.

Pourquoi êtes-vous membre du conseil d’administration de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ? Quel est votre apport ou votre plus-value ?

Depuis mon élection, je suis particulièrement impliqué sur les questions liées à l’environnement et à l’énergie. Je suis membre de la commission développement durable et aménagement du territoire à l’Assemblée nationale, coprésident du groupe d’études « énergies vertes » et je suis référent transition écologique pour le mouvement En Marche. 

La transition écologique et énergétique est un sujet complexe et technique. En tant que membre du conseil d’administration de l’ADEME, j’attache une importance particulière à assurer ma mission d’interlocuteur entre l’agence et le Parlement. Je participe à l’orientation stratégique de l’ADEME aux côtés des autres membres, et j’entretiens une communication indispensable entre le Parlement et cette agence qui sont au cœur du déploiement des politiques publiques en lien avec la transition écologique. Ainsi, nous travaillons de concert pour un ancrage local et adapté de la transition écologique. 

Vous avez été rapporteur au fond du projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Qu’est-ce que les hydrocarbures conventionnels ? La question sera identique pour les hydrocarbures non conventionnels ? 

La différence entre hydrocarbures conventionnels et non-conventionnels réside principalement dans leur mode d’extraction. 

Si les deux résultent d’une accumulation et d’une lente transformation de matières organiques enfouies, les hydrocarbures non conventionnels ont la particularité d’être emprisonnés, sous forme de liquide ou de gaz, dans des roches peu perméables et poreuses. 

Bien plus complexes à extraire, ils ne peuvent pas être récupérés par des méthodes d’extraction conventionnelles, comme le pétrole ou le gaz naturel prélevé par un simple forage vertical. 

Ainsi, les hydrocarbures non conventionnels, tels que le gaz de schiste ou les schistes bitumineux par exemple, nécessitent l’usage de la fracturation hydraulique, de forages horizontaux ou d’autres procédés qui présentent de nombreux risques pour l’environnement. 

Quel est le coût environnemental des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels ?

Dès l’extraction, étape sur laquelle nous nous sommes concentrés dans le projet de loi hydrocarbures, d’importantes fuites de gaz, principalement du méthane, ont lieu au niveau des puits. Il s’agit d’un gaz au pouvoir réchauffant 25 fois plus élevé que le CO2, qui se retrouve bien souvent brûlé en torchères pour le transformer en CO2 afin de le rendre moins nocif dans l’atmosphère. Mais cela représente aussi un gaspillage énergétique et un coût pour le climat qui est considérable.

Les procédés non conventionnels demeurent les plus polluants pour les sols, l’air et l’eau. Ils sont généralement bien plus consommateurs en énergie et en eau que les forages traditionnels. Même si le pétrole et le gaz de schiste sont les hydrocarbures non conventionnels les plus répandus, il en existe d’autres qui appellent des procédés particulièrement dommageables pour l’environnement et la biodiversité. Les sables bitumineux, situés directement sous la surface du sol, contribuent notamment à la déforestation en créant d’immenses mines à ciel ouvert où la terre se retrouve littéralement décapée.

En votant la loi hydrocarbures en 2018, la France est ainsi devenue le premier pays au monde à amorcer sa sortie de la production d’hydrocarbures, en n’attribuant plus de nouveaux permis d’exploration, et ce, à effet immédiat, et en ne prolongeant pas les concessions existantes au-delà de 2040. L’adoption de ce texte fut une avancée majeure.

Quels sont les impacts d’un manque d’accès aux hydrocarbures pour les générations futures ?

Aujourd’hui, le mix énergétique mondial repose sur la production d’hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Le charbon, le pétrole et le gaz constituent des énergies peu chères, abondantes, mais fortement émettrices de gaz à effet de serre. L’utilisation de l’énergie est la base du progrès humain et contribue à la sortie de la pauvreté extrême. Mais face aux conséquences irréversibles du changement climatique, il est vital d’opérer une transition rapide de nos mix énergétiques et de nos modèles de production et de consommation. Trois priorités doivent aujourd’hui nous guider.

Tout d’abord, nous devons développer et intensifier la production d’électricité issue des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, biomasse) et décarbonée (nucléaire) tout en développant la complémentarité des sources et vecteurs énergétiques (hydrogène, biogaz, etc.)

La deuxième priorité est de poursuivre nos avancées sur l’efficacité énergétique. En France, le bâtiment représente plus de 40 % de l’énergie que nous consommons. Nous pouvons donc faire des gains énergétiques massifs en rénovant de façon ciblée notre parc immobilier pour le rendre moins énergivore. 

Aussi, la sobriété s’inscrit, à mes yeux, comme un levier inévitable pour atteindre nos objectifs. Nous devons mieux sensibiliser sur la valeur de l’énergie que nous consommons, en identifiant et en réduisant certains usages superflus. Il y a un enjeu majeur à rendre le sujet de la sobriété mieux compris, mieux accepté, juste socialement, et à le décorréler du concept de décroissance qui paralyse le débat.

Je crois qu’il est important d’adopter un discours de vérité et de responsabilité. La transition, en France et dans le monde, aura de nombreux impacts. Tout l’enjeu actuel et futur, notamment des pouvoirs publics, sera d’accompagner les entreprises et les populations, en particulier les plus modestes, pour rendre cette transition moins brutale et plus inclusive. Nous l’avons vu lors de la crise des Gilets jaunes, l’écologie de la contrainte ne fonctionne pas. Ceux qui promeuvent une écologie radicale et rapide versent dans l’utopisme et le simplisme qui peuvent engendrer des blocages et non des avancées.

L’un des sujets du moment est le coût de l’énergie. De nombreux Français ne peuvent pas se chauffer décemment. Quelles seraient vos propositions pour leur garantir à tous un accès à une énergie propre et abordable ?

3,5 millions de ménages sont concernés par la précarité énergétique en France. Face à la hausse du prix de l’énergie, nous proposons à la fois des solutions de court terme et de long terme que ce soit à travers le déploiement ponctuel du chèque énergie ou la massification des rénovations thermiques des bâtiments. Ce quinquennat aura d’ailleurs permis des avancées profondes pour la performance énergétique des bâtiments, nous le voyons avec le succès de MaPrimeRénov’ et les fonds du Plan de Relance en cours de déploiement sur nos territoires. 

Outre les mesures indispensables d’efficacité énergétique, le rapport RTE montre qu’en 2050 il y aura une baisse de la consommation énergétique globale et une hausse de la consommation d’électricité. Cela signifie que nous importerons moins d’hydrocarbures et, dans le même temps, cela doit nous inviter à relocaliser la production sur place. C’est le sens du plan France 2030 et des annonces sur la poursuite des investissements dans le nucléaire. Promouvoir la complémentarité des énergies renouvelables et du nucléaire est un choix que je qualifie de responsable pour notre sécurité d’approvisionnement, pour le climat et pour le pouvoir d’achat des Français. 

Vous avez également été rapporteur de la proposition de loi visant à lutter contre la mort subite et à sensibiliser la population aux gestes qui sauvent. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit concrètement ? 

En France, les secours professionnels mettent en moyenne une dizaine de minutes pour arriver, or, chaque minute qui s’écoule fait perdre environ 10 % de chance de survie pour une victime d’arrêt cardiaque. Pour augmenter le taux de survie, les premiers témoins d’une victime d’arrêt cardiaque inopiné peuvent donc jouer un rôle majeur s’ils ont été préalablement sensibilisés ou formés aux gestes qui sauvent. 

Face à ce constat, cette loi a donc permis la création du statut de citoyen-sauveteur dont l’objectif est de rassurer et de protéger juridiquement l’ensemble de ceux qui seraient amenés à intervenir avant l’arrivée des secours professionnels : car face à une victime en arrêt cardiaque, il vaut mieux mal faire les gestes que de ne rien faire. Outre le statut de citoyen-sauveteur, cette loi agit aussi pour densifier le maillage territorial de défibrillateurs, pour massifier la sensibilisation et la formation de la population à l’école, en entreprise, dans la pratique du sport, etc.

Dans votre rapport sur ce texte, on découvre un titre « renforcer les peines en cas de vol de défibrillateur ». Existe-t-il un marché noir du défibrillateur ? 

Nous assistons à la multiplication de délits divers sur les DAE en libre accès, notamment dans l’espace public. Il paraissait absolument indispensable de durcir les sanctions en cas de vol ou de dégradation sur les défibrillateurs, dont les conséquences peuvent être graves et décisives pour la survie de concitoyens victimes d’un arrêt cardiaque. 

Vous êtes vice-président du groupe d’amitié France-Espagne. À ce titre, deux questions très spécifiques vous seront posées. La première est celle de la présence consulaire de la France sur le territoire espagnol. De nombreux expatriés font état de difficultés administratives avec la France, en raison d’absence de guichets. Est-ce un sujet sur lequel le groupe d’amitié pourrait travailler et proposer des solutions concrètes ? 

Les groupes d’amitié forment un réseau d’élus qui agit comme un instrument de coopération bilatérale entre les parlements. En ce sens, le groupe d’amitié donne le lieu d’échanges et de partages d’idées entre les représentants locaux de différents pays. Toutefois, ce type de sujets relèvent davantage de la commission des affaires étrangères ou des élus représentant des circonscriptions des Français de l’étranger. Dans le cas de l’Espagne, les Français de l’étranger appartiennent à la 5e circonscription des Français de l’étranger. Le rôle des représentants reste néanmoins à conforter et à mettre en valeur pour que les Français établis hors de France connaissent davantage leurs interlocuteurs, leurs droits et les possibilités qui s’offrent à eux pour faciliter leurs démarches, en physique ou grâce au numérique. 

La seconde question concerne le régime fiscal. En Espagne, il existe un régime similaire à celui des microentreprises : l’autonomo. En comparant les deux régimes, on constate que le cousin espagnol est beaucoup mieux pensé et finalement plus favorable que la version française. Pourquoi ne pas adapter le régime français, sur la base du régime espagnol ? 

Je vous avoue que je ne suis pas le meilleur spécialiste de la question. Je crois que le régime de la microentreprise en France a permis des avancées majeures pour encourager l’entrepreneuriat individuel : les formalités administratives ont été simplifiées, la comptabilité et les charges sociales allégées. Un régime similaire existe en Espagne, mais aussi au Royaume-Uni, il peut être effectivement enrichissant de s’inspirer de chaque modèle afin de toujours progresser et affiner nos politiques. 

Tous les députés interrogés se voient demander une photo pour illustrer leur interview. Pourquoi avoir choisi celle-ci et que dit-elle de votre mandat ? 

J’apprécie tout particulièrement cette photo puisqu’elle est prise sur le domaine universitaire et reflète la richesse et la diversité de la circonscription que j’ai eu l’honneur de représenter pendant presque 5 ans. Un territoire riche et dynamique concerné par de multiples sujets avec : l’université de Grenoble, des entreprises en pointe stimulées par les recherches et les innovations du CEA voisin, des quartiers urbains comme des territoires ruraux demandant une attention particulière sur les questions d’égalité sociale, etc. Autant d’enjeux que j’ai à cœur de porter et de défendre au mieux à l’échelle nationale. Enfin, ce territoire est entouré par les montagnes du bassin grenoblois, un environnement magnifique, particulièrement impacté par les conséquences du réchauffement climatique, qui motive quotidiennement mon engagement.

Ainsi, l’attention que j’ai portée sur le terrain, en Isère, a profondément nourri et stimulé mon travail et mon engagement à l’Assemblée nationale, sur les bancs de l’hémicycle, et vice versa. 

Question rituelle : comptez-vous vous représenter en 2022 ?

Depuis 2017, je me suis donné à 100 % dans mon mandat. Je crois avoir fourni un travail sérieux et utile au service de ma circonscription, mais aussi à l’échelle nationale, notamment en œuvrant pour renforcer l’ambition écologique et sociale de notre action. 

Je crois profondément que l’écologie est la mère de toutes les batailles, elle conditionnera notre avenir commun. Notre engagement pour lutter contre le réchauffement climatique sera déterminant pour protéger l’économie, le système social, la résilience alimentaire, l’attractivité et l’indépendance du pays, mais aussi pour maintenir la paix. 

J’ai effectivement fait part de mes intentions de me représenter en 2022 dans la 2e circonscription de l’Isère. Face à la « zemmourisation » ambiante et à la radicalisation des oppositions, je souhaite continuer d’incarner un visage positif, progressiste, respectueux et responsable en politique.