La cagnotte de la honte : le fisc pourrait se régaler
Depuis quelques années, les cagnottes en ligne se sont multipliées. Version numérique du pot commun entre amis ou en famille pour faire un gros cadeau à une personne, les usages se sont multipliés. L’exemple le plus récent et le plus délirant est évidemment la fameuse cagnotte créée par Jean Messiha, qui frôle, au moment où ces lignes sont écrites, le million d’euros. Notons au passage que l’on ne connaît pas la destination exacte de la cagnotte en question, tant l’intitulé est nébuleux.
Baptisée cagnotte de la honte, en raison de son destinataire, elle n’a pas été gelée par la plateforme qui l’héberge, n’y voyant aucune violation de ces conditions générales d’utilisation. Au-delà de l’objet même de la cagnotte, le point que tout le monde semble avoir négligé, est sa fiscalité. Nous avons sollicité l’expertise de M° Nicolas Drancourt, avocat fiscaliste, inscrit au Barreau de Lille.
« Sur les cagnottes, on a plusieurs façons de voir les choses. On peut les considérer comme des sociétés de fait et donc faire appliquer la fiscalité inhérente aux droits des sociétés. On peut les voir comme une rémunération ou un revenu. Mais, cela suppose un travail. Et, il y a la qualification du présent d’usage, qui n’est pas assujetti à une fiscalité particulière. Néanmoins, cela est encadré : on va procéder à une analyse du patrimoine de celui qui donne. La jurisprudence des tribunaux administratifs a tendance à considérer que pour être considéré comme présent d’usage, il ne faut pas dépasser 2 % du patrimoine et 2 % des revenus imposables. Dans le cas dont on parle, il y a un risque que le Trésor retienne le régime général en matière de donation entre personnes sans lien de parenté, à savoir 60 % des sommes ainsi reçues, à la charge de ceux qui vont recevoir ». Pour faire simple, si la cagnotte atteint un million d’euros, après prélèvement de la commission de la plateforme, 600 000 € devraient aller alimenter les caisses de l’État.
M° Drancourt poursuit « le vrai sujet n’est pas la loi, mais son application. Le fisc est gêné par ce sujet : comment prendre 60 % de taxation sur une cagnotte ouverte pour financer les frais médicaux d’un enfant atteint d’un cancer, par exemple ? On manque de jurisprudence sur ce sujet. » Quant aux donateurs et aux participants, « ils ne savent pas que les cagnottes sont en théorie fiscalisées et les plateformes sont d’une grande pudeur sur ce sujet ».
En tout état de cause « la cagnotte dont on parle pourrait parfaitement faire l’objet d’une taxation à 60 %, qui sera payée par le bénéficiaire de la cagnotte ».
Devant les montants, on vient à souhaiter que la DGFIP mette son nez dedans « il ne serait pas inintéressant d’avoir des précisions sur la nature juridique des cagnottes. Quant au législateur, il a un chantier devant lui. En effet, aujourd’hui, les plateformes de cagnottes n’ont que très peu d’obligations, voire aucune. Elles ne vérifient pas la provenance des fonds ni la destination, faisant que les plateformes de cagnotte en ligne peuvent parfaitement servir à faire du blanchiment d’argent. »
Il est peu vraisemblable que Jean Messiha a informé les donateurs qui ont versé des sommes importantes de la fiscalité applicable. Le savait-il seulement ? On ose l’espérer, lui qui est fonctionnaire, sorti de l’ENA. Dès lors, il est curieux qu’il n’ait pas jugé utile d’en informer les donateurs. On espère qu’ils n’attendent pas de reçus fiscaux afin de les déduire de leurs impôts, puisque GoFundMe ne délivre aucun reçu fiscal. Entre l’absence de déduction fiscale et la probable taxation qui va s’appliquer, on peut résumer la chose en disant que les participants à cette cagnotte de la honte ont accepté de payer des impôts supplémentaires.