La cause du peuple
Le livre-révélation de Patrick Buisson, conseiller occulte, mais non dissimulé de Nicolas Sarkozy, était très attendu. En effet, celui qui a été accusé d’avoir inspiré une ligne très à droite à l’ancien président de la République avait fait les gros titres lorsqu’il a été découvert qu’il enregistrait les conversations qu’il avait avec ce dernier.
Mais quelle déception. En fait de révélations, il s’agit surtout d’anecdotes insérées çà et là entre deux pseudo-verbiages vaguement intelligibles, pour ne pas dire délirants.
« L’auteur » se plaît à aligner les intellectuels et les concepts, politiquement et sociologiquement dépassés. Il fait des phrases pour faire des phrases, comme s’il devait impérativement rendre un certain nombre de feuillets, comportant un certain nombre de penseurs, dans une liste préalablement établie, à son éditeur afin de boucler cet opuscule. Patrick Buisson connaît des intellectuels et veut essentiellement le faire savoir.
Reconnaissons au moins trois mérites à cet indigeste ouvrage : il a très utilement remplacé mon somnifère habituel, sans effet d’accoutumance – il m’a fallu dix jours pour le terminer, c’est vous dire à quel point ce fut pénible – et j’avoue avoir une certaine admiration pour qui arrive à caser dans le même chapitre Carl Schmitt et Rocco Siffredi.
Sur le fond, vous n’apprendrez absolument rien sur la dernière présidence. Les livres de Camille Pascal et de Maxime Tandonnet sont beaucoup plus éclairants et instructifs que cet ouvrage.
Ne cherchez pas non plus d’analyse économique : pour Patrick Buisson, si notre société va mal, c’est à cause :
- Du « lobby gay » (écrit tel quel dans le livre) ;
- De la libération de l’IVG, du divorce, de la libération de la femme et du mariage pour tous ;
- De l’islam ;
- De l’immigration ;
- Des « bobos » ;
- Des associations et des ONG ;
- De la décolonisation.
Pas un mot sur le chômage, les fermetures d’usines, la crise des subprimes, tout ceci relève – selon lui – d’éléments accessoires n’étant pas de nature à influencer la santé d’un État. On notera d’ailleurs avec un certain amusement que le conseiller se gargarise des « pauvres », des déclassés, des malheureux, comme si, en ayant évolué dans les quartiers dorés de la capitale ces dix dernières années, il pouvait comprendre le ressenti et le quotidien de celles et ceux qui sont enfermés dans la spirale infernale de la précarité.
Allez savoir au nom de quel peuple monsieur Buisson essaie de soutenir la cause, lui qui ne s’est jamais investi, ni en politique, ni dans le tissu associatif et qui n’a même jamais voulu avoir une place dans l’organigramme officiel de l’Élysée et avant de Beauvau, tout en profitant des largesses de la République. Si Patrick Buisson est censé représenter la nouvelle vague des intellectuels français, cela en dit long sur l’état de délabrement mental de certains ou du moins, sur leur inculture. La grande force de Patrick Buisson est d’arriver à éblouir celles et ceux qui n’ont pas de culture générale, qui ne connaissent pas l’Histoire de France, car ils n’ont pas les armes intellectuelles pour déceler l’imposture et la réécriture des faits.
Vous l’aurez compris : à ne lire que si vous le recevez gratuitement et si vous l’obtenez en version physique, vous pourrez le recycler en calant un meuble branlant.