Grâce au Garde des Sceaux, la justice du quotidien va devenir inaccessible aux classes moyennes.
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La justice du quotidien flinguée en catimini par Gérald Darmanin

C’est par un décret, paru au Journal officiel du 19 juillet 2025, que l’actuel Garde des Sceaux a porté un coup très sévère à la justice civile.

La justice civile s’occupe de la justice dite du quotidien : différends entre voisins, conflits entre une entreprise et un particulier, interprétation des contrats, mais aussi tout ce qui relève de la famille, en particulier les divorces.

Recours obligatoire à la médiation avant le juge

Ce décret – publié en catimini, tant le sujet est passé sous les radars – réécrit l’article 21 du Code de procédure civile et incitera très fortement désormais les personnes qui souhaitent avoir recours à la justice civile à passer par un médiateur.

En somme, au lieu d’aller directement devant un juge, les parties devront au préalable se rencontrer devant un médiateur ou un conciliateur, pour essayer de trouver un terrain d’entente.

C’est une généralisation de l’audience de règlement amiable, qui a pour objectif de désengorger les tribunaux, en imposant le paiement des frais inhérents à la médiation. Si les parties ne souhaitent pas recourir à cette procédure, elles sont passibles d’une amende civile de 10 000 €. À ce stade, il n’y a pas d’obligation à recourir, mais, vu l’état d’encombrement des tribunaux, il faudra voir s’il ne va y avoir un effet incitatif à passer par la médiation avant d’aller effectivement devant un juge*.

Facture très salée pour les justiciables

Sauf que le recours à la médiation n’est pas gratuit, contrairement à la conciliation. Comme l’indique l’Association de la médiation des Hauts-de-France : « Dans le cadre d’une médiation judiciaire, le montant de la provision est fixé par le juge et cela peut aller de 600 à 1 500 euros en fonction de la difficulté et du nombre prévisible de réunions. »

Le même site poursuit : « Le taux horaire moyen d’un médiateur peut varier de l’ordre de 200 € H.T à 300 € H.T selon le contexte du litige et les intérêts en jeu. Il est raisonnable d’envisager 1 ou 2 entretien(s) individuel(s) et 2 réunions plénières. »

Maître Eolas, avocat et internaute bien connu du réseau social X (anciennement Twitter), estime dans un fil que le coût est aux alentours de 1 500 € minimum. Il précise que cette prestation n’inclut pas les frais d’avocat, professionnel indispensable dans certains litiges, notamment les divorces.

Aide juridictionnelle trop restrictive

Qui devra payer ? Les deux parties dans un litige. Si les personnes peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, elles n’auront pas à payer pour la médiation.

Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, le revenu fiscal de référence ne doit pas excéder 12 862 € pour une personne seule.

Les personnes ayant un salaire au-dessus du seuil de pauvreté, qui pourraient bénéficier de l’aide juridictionnelle partielle, devront payer de leur poche le médiateur.

Retour du droit de timbre en préparation

Ce décret intervient alors que Gérald Darmanin planche sur le retour du droit de timbre. Dès qu’une personne souhaiterait introduire un recours en justice, elle devrait s’acquitter du paiement d’une taxe.

Christiane Taubira l’avait supprimé en 2014, et en 2024, un amendement à l’article 24 du projet de loi de finances pour 2025 proposait son rétablissement.

La présidente du Conseil National des Barreaux (CNB), Julie Couturier, avait fait part de sa désapprobation chez nos confrères de la Gazette du Palais : « Bien que l’amendement exclue les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, la mesure toucherait les classes moyennes qui ne sont pas éligibles à ce dispositif sans pour autant disposer de moyens suffisants. Cela risque d’aggraver les inégalités et de renforcer une justice à deux vitesses. »

Justice à deux vitesses hors contrôle parlementaire

Si le droit de timbre peut faire l’objet d’un non définitif de la part des parlementaires, le recours instauré dans le décret à un médiateur leur échappe, puisque la mesure a été introduite par décret, donc hors du contrôle des députés et des sénateurs.

Par ailleurs, il n’existe aucune statistique sur le succès ou non du recours à la médiation, ce qui rend sa généralisation très précipitée. Les justiciables devront débourser plus pour faire valoir leurs droits et verront les délais se rallonger d’autant plus avant de se retrouver devant un juge. En effet, le décret prévoit que « la durée initiale de la mission de conciliation ou de médiation ne peut excéder cinq mois » et que « la mission peut être prolongée une fois, pour une durée de trois mois, à la demande du conciliateur de justice ou du médiateur ».

Les professionnels de la médiation se félicitent pour ce qu’ils considèrent être une avancée pour la médiation, mais on peut surtout y voir une nouvelle rente, qui se fera au détriment des justiciables, lesquels renonceront à des recours, sans pour autant que le budget de la justice ne bénéficie de cette manne financière.

Il n’est pas certain que le boucher-charcutier de Tourcoing soit très heureux d’être obligé de payer au moins 1500 € en médiation pour divorcer, sans parler des frais d’avocats.


*Ajout après publication, le 22 juillet 2025 à 18 h 55 et à 19 h 05