L’article 49 alinéa 3 : un obstacle à la lisibilité de la loi
Ce lundi 30 octobre 2023, aux alentours de 23 h 30, la Première ministre Élisabeth Borne a enclenché, pour la quinzième fois, le mécanisme de l’article 49 alinéa 3.
L’article 49 alinéa 3 : qu’est-ce que c’est ?
Quand on parle de l’article 49 alinéa 3 — et non pas de l’article 49-3 — on désigne un article de la Constitution de 1958. Il permet au Gouvernement, représenté par le Premier ministre, d’engager sa responsabilité. En langage clair, cela signifie que le Premier ministre vient devant l’Assemblée nationale et dit « si vous ne votez pas la motion de censure qui va permettre de me faire tomber, vous acceptez ce texte à mes conditions et c’est moi qui choisis ce que je veux dans les amendements que vous avez déposés ».
C’est de la négociation aux forceps. C’est utilisé par le Gouvernement lorsqu’il se trouve dans une impasse et que c’est son ultime solution. Il ne peut être utilisé que devant l’Assemblée nationale. Le Gouvernement ne peut pas forcer la main des sénateurs.
Le 49 alinéa 3 : les deux hypothèses
Lorsque le Premier ministre engage sa responsabilité, il y a deux hypothèses de travail.
Soit les députés ne déposent pas de motion de censure et le texte est considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, soit ils déposent une motion de censure dans un délai strict de 24 h.
Une motion de censure est un texte écrit par les députés, qui consiste à dire « vous, le Gouvernement, on ne veut plus de vous ». Si une motion de censure est déposée, elle doit ensuite être examinée en séance publique — comprendre dans l’hémicycle — et votée. Mais, il y a une subtilité dans le vote : seuls les députés qui votent pour la motion de censure sont comptabilisés. On n’enregistre pas les contres ou les abstentions.
Par ailleurs, les députés ne votent pas électroniquement, mais, avec un bulletin papier, qu’ils doivent déposer dans une urne transparente, dans les salles voisines de l’hémicycle. Combien faut-il de votes « pour » ? Si l’Assemblée nationale est complète — c’est-à-dire qu’il y a 577 députés — il faut 289 votes pour faire adopter la motion de censure. Si elle est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement « tombe ». Pour dire les choses simplement, les députés virent le Gouvernement. Le Premier ministre doit alors remettre sa démission au président de la République. Qui peut la refuser. Et dissoudre l’Assemblée nationale en représailles, ce qu’Emmanuel Macron a sous-entendu à plusieurs reprises.
L’article 49 alinéa 3 : quand l’utiliser ?
La règle est simple : le Premier ministre peut actionner l’article 49 alinéa 3 une fois par session. Sauf pour les textes budgétaires où il n’y a pas de limites. Si le Premier ministre veut utiliser l’article 49 alinéa 3 pour tous les textes budgétaires pendant l’intégralité d’une législature, cela est possible.
Tous les Gouvernements n’ont pas utilisé l’article 49 alinéa 3 et ceux qui l’ont fait, ne l’ont pas toujours fait pour des textes budgétaires.
Le record d’utilisation de l’article 49 alinéa 3 est détenu par Michel Rocard, qui l’a utilisé 28 fois en trois ans. Il est suivi sur le podium de tête par Élisabeth Borne qui en est à sa quinzième. Viennent ensuite à égalité, Raymond Barre, Jacques Chirac, quand il fut Premier ministre de 1986 à 1988 et Edith Cresson. Mais, c’est Élisabeth Borne qui détient le record du nombre de motions de censure avec 19, sans compter celles qui seront probablement déposées aujourd’hui. Vient ensuite Raymond Barre avec 13 et Jacques Chirac avec 7, toujours sur la période allant de 1986 à 1988.
Le problème de l’article 49 alinéa 3
Fondamentalement, l’article 49 alinéa 3 pose deux difficultés. La première est purement politique. Dans notre système actuel, seul le président de la République est élu au suffrage universel direct. Ce dernier peut parfaitement désigner un Premier ministre qui ne se soit jamais présenté devant les électeurs. Dans certains États, par exemple la Roumanie, le Premier ministre doit obligatoirement être issu du Parlement, ce qui donne des attelages curieux, mais représentatifs. De la même manière, rien n’oblige le Premier ministre à choisir des parlementaires pour intégrer son gouvernement. En un mot comme en cent, le Gouvernement français ne doit pas — légalement — être représentatif de la couleur politique des électeurs français. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il n’est pas légitime puisque le Gouvernement est le reflet de la volonté politique du président de la République.
L’autre difficulté est pédagogique. Les textes budgétaires ne sont pas les plus faciles à comprendre. Même quand on a l’habitude, certains articles ne sont pas très clairs, notamment sur leurs impacts. Or, la séance publique de l’Assemblée nationale permet ce moment de pédagogie. Il est vrai qu’on peut aussi le faire au Sénat. Mais, les calendriers se chevauchant et le Sénat bénéficiant de moins d’attention médiatique que l’Assemblée nationale, le citoyen perd en clarté.
Son vote aussi perd en utilité. Les textes budgétaires sont les seuls moments où les députés peuvent faire preuve d’une dose d’initiative budgétaire. En les privant de cette faculté, le Gouvernement réduit leur rôle et le citoyen ne comprend plus pourquoi il devrait aller aux urnes pour choisir un représentant.
On sait parfaitement que les motions de censure qui seront examinées en réaction à l’utilisation pour la quinzième fois de l’article 49 alinéa 3 ne seront pas adoptées. Les députés Les Républicains semblent vouloir garder pour le projet de loi sur l’immigration leur motion de censure. Mais, si les motions de censure n’aboutissent pas, que les manifestations n’infléchissent pas le Gouvernement, que les pétitions sont rejetées, que les concertations professionnelles et syndicales ne débouchent pas sur des accords, que va-t-il rester comme moyen aux citoyens pour être entendus ?