Mme Agresti-Roubache a-t-elle un message à faire passer à Emeline K/Bidi ?
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Le crash d’Agresti-Roubache

Propulsée ministre à la faveur de son amitié avec Brigitte Macron, Sabrina Agresti-Roubache est plus connue pour ses déclarations fracassantes que pour les dossiers qu’elle a portés. Elle avait enfin un texte sur lequel se distinguer : le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires.

Le texte en lui-même n’est pas révolutionnaire. Il entend renforcer la lutte contre les dérives sectaires, mais sans réellement donner des moyens. Tout au plus l’article 4 entendait créer une nouvelle infraction : la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical. Dans le viseur, notamment de la rapporteure Brigitte Liso : les personnalités des réseaux sociaux qui incitent les personnes atteintes de pathologies lourdes, à se soigner avec du jus de citron, en lieu et place de traitements médicaux. Elle a évoqué son frère qui est tombé sous la coupe d’un charlatan de ce type. 

Cet article était le seul véritable enjeu de ce texte, le reste étant globalement sans intérêt. En attestent les 187 amendements déposés pour la séance. Cela aurait pu et dû passer comme une lettre à la Poste. Mais, c’était sans compter sur la désinvolture de Sabrina Agresti-Roubache. Crispant les députés de gauche et de sa propre majorité, elle a été très bienveillante envers les amendements du Rassemblement National, pensant peut-être naïvement que cela les mettrait dans de bonnes dispositions pour l’article 4.

Ce dernier avait déjà été supprimé au Sénat. Les députés l’avaient réintroduit dans le texte.

Échec sur toute la ligne et les députés de la majorité ne vont pas décolérer de sitôt. Durant la séance du soir, une interruption de séance a été demandée et les poids lourds de la majorité se sont réunis autour d’elle, mines courroucées. Tous ont pu constater une dissonance entre la ministre et la rapporteure. 

Cette discordance aurait pu passer inaperçue, mais elle a été amplifiée par autre chose : l’absence totale de maîtrise du texte par la ministre. Chaque phrase était parsemée de « heu », remplaçant ainsi les virgules, les points, etc. Le point d’orgue a été atteint lorsque la présidente de séance a demandé son avis à la ministre sur un amendement : Sabrina Agresti-Roubache a levé la tête vers la présidente Laporte, l’air perdu, a gardé le silence, s’est tournée vers ses conseillers assis derrière elle et a finalement donné son avis. Quelques secondes interminables et gênantes, à l’image de cette séance du soir. 

Le clou final dans le cercueil sera le vote des amendements de suppression de l’article 4. Du côté de la majorité, on n’hésite pas à faire savoir son mécontentement. Ainsi, dans un message sur le réseau social X (anciennement Twitter), le député Éric Bothorel indique « Art 4 perdu. J’ai honte de ces alliances contre la science. On aurait pu avoir aussi au banc côté gouv [NDLR Gouvernement], des convictions autrement exprimées que « je ne suis pas là pour me fâcher » « vous me connaissez » cela n’aurait rien changé à l’arithmétique, mais rendu la défaite – pénible ». 

Dans l’opposition de gauche, la ministre n’est pas non plus épargnée. Andy Kerbrat, député LFI, ne mâche pas ses mots : « On est sur un énième texte inutile de la Macronie. Mais l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Sous la volonté, positive, de sanctifier la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), le Gouvernement fait passer des mesures liberticides comme l’article 4. En effet, cet article prévoyait de sanctionner les dérives thérapeutiques sectaires mais prenait le risque de sanctionner aussi les lanceurs d’alertes, comme Irène Frachon sur l’affaire Mediator. Mais face à ces dérives, les parlementaires ont voté contre et rejeté cet article 4. Nous à LFI-NUPES, nous demandons que de vrais moyens soient donnés à la MIVILUDES, pour pouvoir déceler, trouver et sauver les victimes d’emprise, comme c’est le cas avec les thérapies de conversion ».
Il n’est pas non plus dupe de l’attitude de la ministre « Une ministre déconnectée, du texte ce qui est grave, mais aussi de sa majorité. Elle donnait des avis de sagesse à des amendements RN ce qui lui a valu d’être engueulé par le président [NDLR de groupe Renaissance] Maillard. Un exemple de la Macronie, l’amateurisme. ». 

Ou alors, elle ne tenait pas tant que cela à ce que l’article 4 passe. Car, c’est bien elle qui a vanté les mérites de Didier Raoult à Brigitte Macron pendant l’épidémie de COVID

Si elle a réussi à se maintenir au Gouvernement lors du remaniement le plus long de la Ve République, rien ne dit qu’elle va survivre au prochain remaniement, qui aura lieu après les élections européennes. Et il est probable qu’elle ne pourra pas compter sur le soutien des députés de la majorité présidentielle. Quant à l’article 4, il est encore possible que le Gouvernement, peut-être en la personne de Gérald Darmanin, demande une nouvelle délibération lors de la séance du mercredi 14 février 2024.