Plus d'une semaine après le passage de Chido, les autorités sont incapables de faire le bilan de ce qui s'avère être un ratage d'État. Copyright : AFP / Patrick Meinhardt
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Le passage de Chido à Mayotte : comment l’État défaillant a empiré une catastrophe naturelle et prévisible

Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido a ravagé Mayotte et au 22 décembre 2024, les autorités sont toujours dans l’incapacité de faire un bilan humain et matériel de la catastrophe. Autopsie d’un ratage d’État. 

Des risques connus

En 2024, la commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre‑mer a rendu son rapport et Mayotte fait malheureusement figure de mauvais élève. En plus des risques cycloniques, l’île se trouve aussi sur une zone sismique. Elle est classée niveau 3, c’est-à-dire modérée, mais, dans le contexte social, économique, démographique et sécuritaire du département, cela peut se traduire en véritable catastrophe. 

Les députés avaient souligné que l’île était insuffisamment préparée en cas de catastrophe naturelle. En dehors de la question linguistique — le français n’est pas la seule langue parlée — la population y est très faiblement assurée : seulement 6 %. Dès lors, le fonds Barnier, dispositif prévu en cas de catastrophe naturelle, ne peut pas fonctionner. 

Les habitats, qu’ils soient en dur ou précaires, ne sont pas conçus pour résister aux risques climatiques. L’île manque aussi de moyens de détections en amont et comme tout le pays — hexagone et outremer — les populations ne sont pas assez formées aux risques climatiques. 

Tous les ingrédients sont réunis pour aboutir à un drame humain et les députés de la commission d’enquête avaient formulé des recommandations. La dissolution étant passée par là, aucune n’a été suivie d’effet, en particulier la recommandation 18 : recenser les habitations informelles et/ou indignes situées dans des zones exposées à un ou plusieurs risques naturels majeurs de nature à faire peser une menace grave pour les vies humaines. 

Comment se prépare-t-on à un cyclone ?

Mayotte se situe dans l’océan indien et cette partie du monde est annuellement frappée par des saisons cycloniques. Une saison cyclonique est une période de l’année plus propice aux cyclones. Un cyclone est un phénomène tourbillonnaire et si on utilise le terme de cyclone, c’est parce que ce phénomène se produit dans l’océan Indien ou dans le sud de l’océan Pacifique. Le terme de typhon est spécifique au nord-ouest de l’océan Pacifique, à savoir l’Asie et l’Asie du Sud-Est, tandis que l’ouragan vise géographiquement le nord de l’océan Atlantique et le nord-est de l’océan Pacifique, c’est-à-dire l’Amérique du Nord et l’Europe. 

Qu’il s’agisse d’ouragan, de typhon ou de cyclone, les précautions à prendre pour les populations sont les mêmes. Il faut avoir un endroit où s’abriter, de la nourriture, de l’eau, une trousse de secours, quelques outils basiques, des piles et un moyen d’information, par exemple une radio. 

L’abri en lui-même doit être en dur. Il faut rester éloigné des fenêtres, ne surtout pas sortir et écouter les alertes émises par les autorités. 

Des populations inégalement réparties, mal logées et mal informées

Au 1er janvier 2024, selon l’INSEE, Mayotte comptait 321 000 personnes et comme elle le précise dans une note, « C’est bien l’ensemble de la population résidente qui est dénombrée dans le cadre du recensement, quels que soient son statut ou sa nationalité ». 

Dans une note du même institut du mois d’octobre 2024, se basant sur des données de 2017, quatre logements sur dix sont en tôle, c’est-à-dire, totalement précaires. La particularité de Mayotte tient à l’hyperconcentration de la population sur une partie du territoire : Petite-Terre, Mamoudzou et Koungou. 

Autre spécificité de Mayotte : la langue. Le français est la langue officielle, mais le shimaoré et le kibushi sont les deux langues majoritairement parlées et comprises. Ils sont 81 % à parler l’une ou l’autre de ces langues régionales, tandis que le français n’est maitrisé qu’à 55 % par les habitants.

La préfecture de Mayotte a communiqué sur Chido dès le 11 décembre 2024, déclenchant l’alerte rouge le 13 décembre 2024 à 22 h et l’a passé en alerte violette le 14 décembre 2024 à 7 h. La liste des lieux d’hébergement a été mise en ligne le 13 décembre 2024. Mais, que ce soit sur le site de la préfecture ou sur le compte X (anciennement Twitter), toutes les informations ont été délivrées en langue française. 

Le travail de prévention et de mise à l’abri des populations ne paraît pas avoir été mené dans les villages et les zones d’habitats informels. Mouatamou Mzemamou, un adolescent interrogé par l’AFP, indique qu’il a pris conscience du danger de Chido en voyant les mesures de sécurité prises dans l’entreprise où il était en stage. Il a tenté de prévenir ses voisins. Malheureusement, très peu l’ont suivi lorsqu’il est parti se mettre à l’abri dans une école. Depuis, son village, Bouyouni, est ravagé, comme le reste du nord de l’île.  

Mayotte 2025 : un plan ambitieux sur le papier

Les habitants et les autorités en sont encore à déblayer l’île. La nourriture et l’eau manquent. Il faudra attendre le 27 décembre pour avoir de l’eau en continu. D’ici là, elle ne sera disponible que huit heures par jour, alors que les températures dépassent les 30 °C. L’hôpital de Mamoudzou n’est opérationnel qu’à 50 %. Mais, pour l’État, cela sera probablement une crise parmi tant d’autres. En juin 2022, la Cour des comptes publie un rapport, intitulé « quel développement pour Mayotte ? ». 

Les magistrats de la rue Cambon ont souhaité procéder à un bilan d’une feuille de route gouvernementale : Mayotte 2025. Voulu par François Hollande et signé le 13 juin 2015 par Manuel Valls, il fixait pour dix ans six objectifs à atteindre pour le développement de l’île : la santé, l’éducation, le développement économique, l’environnement, le logement et l’urbanisme et le développement des services administratifs. Les axes ne sont pas hiérarchisés. 

Les objectifs étaient assez vagues : il n’y avait pas une liste d’actions concrètes à mener. Ainsi, sur la partie consacrée à l’éducation, il n’y a pas d’objectif chiffré. L’entrée « diminuer le taux d’illettrisme et d’analphabétisme » n’est pas suivie d’un but précis, tel qu’« atteindre un taux d’alphabétisation de X % des publics de plus de X ans ».  

La Cour des comptes n’a pas manqué de relever l’absence de hiérarchisation des priorités et d’actions concrètes. Mais, elle a surtout souligné qu’après juin 2016, il n’y a plus eu aucun suivi. En effet, le dernier bilan date du 11 juin 2016, effectué par la ministre des outre-mer de l’époque, Georges-Pau Langevin. Elle annonçait qu’un tiers des mesures étaient mises en œuvre. 

Depuis, plus rien et cette absence de suivi a coûté très cher. Chido en est la douloureuse démonstration. 

Un appareil administratif déficient

Premier problème : l’appareil d’État a dysfonctionné. Les préfets envoyés sur l’île sont souvent inexpérimentés et s’en vont dès que c’est possible. « Le poste de préfet y est attribué en premier poste, alors que sa grande difficulté et la tension quasi permanente dans l’archipel requièrent une solide expérience. Avec une durée moyenne d’affectation de l’ordre de 18 mois, le temps d’adaptation des préfets aux spécificités et aux réalités complexes de l’archipel est insuffisamment pris en compte ». À titre d’exemple, Dominique Sorain est resté préfet de Mayotte 15 mois. En reprenant la liste complète des préfets de département pour Mayotte, on arrive à une moyenne d’affection de 20 mois. 

Le problème de la rotation trop rapide des préfets n’est pas nouveau : Didier Migaud, alors premier président de la Cour des comptes s’en était ému auprès de Manuel Valls en juillet 2014. « La durée moyenne de fonctions des préfets dans un poste territorial, qui n’était en 2006 que de deux ans et six mois, a pourtant continué de diminuer, pour se stabiliser autour de deux ans depuis 2010 (24,3 mois en 2013) ». À partir de 2010, exception faite de Thierry Suquet qui est resté 32 mois en poste, tous les préfets de Mayotte sont restés moins de deux ans. 

Autre facteur aggravant : il leur est demandé de gérer en permanence des crises, qui s’empilent les unes sur les autres. Rien n’est documenté ni programmé. « La documentation produite est pauvre sinon inexistante. Il n’existe pas de compte rendu, de contrôle de gestion ou de suivi d’activité. Beaucoup des actions menées ne sont ni écrites, ni formalisées, ni documentées ».

Le manque d’attractivité de l’île pénalise sa machine administrative

Sans planification, difficile de suivre les recommandations, notamment budgétaire de la Cour des comptes, qui souligne un autre problème : le manque d’attractivité. « Toutes les administrations comptent des postes non pourvus, peu de candidats et une rotation accélérée des cadres. L’attractivité est faible et l’adaptation souvent difficile. »   

De là découle tout le reste : la population est difficilement recensée, les habitats informels ne peuvent être cartographiés, les enfants ne sont pas assez scolarisés, la population n’est pas formée. Quant au plan Mayotte 2025, son suivi s’est arrêté au bout d’un an « Au total, les données disponibles ne montrent pas une contribution significative du plan Mayotte 2025 au développement de Mayotte ». 

Paradoxalement, la Cour des comptes souligne que les questions d’ordre public ont prévalu sur tout le reste, mais avec la même inefficacité ou presque. En dehors de l’année 2019 qui connaît un record de reconduites à la frontière effectives, dans le cadre de l’opération Shikandra, les questions liées à l’immigration, l’intégration et la citoyenneté n’ont pas été mises en relation avec le nombre de demandes. Il n’y a pas eu de pilotage ni de coopération avec les États voisins. 

Une réponse politique inexistante

Lorsque survient une crise ou un évènement majeur, les parlementaires ont pris le réflexe de dégainer la commission d’enquête comme réponse politique. Dans le cas de Mayotte, un seul sénateur — Saïd Omar Oili — a demandé la création d’une commission d’enquête sur la gestion de la crise par l’État

Le Premier ministre lui-même s’est passablement désintéressé de la situation, préférant se rendre au conseil municipal de Pau, plutôt que de rejoindre la cellule de crise. Le président de la République s’est rendu sur place, mais la population ne lui a pas franchement fait un accueil chaleureux. « Il n’y a rien qui va changer. S’il amène des vêtements, des solutions, alors oui, mais s’il vient juste pour voir des maisons qui sont cassées, c’est rien en fait » dit Mouatamou Mzemamou à l’AFP. 

En guise de solution, Emmanuel Macron a annoncé que des mesures d’urgence seraient prises et François Bayrou a également indiqué qu’un projet de loi serait à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dès les premiers jours de janvier. Le texte est attendu pour le 6 janvier 2025 et comporterait le gel des cotisations sociales et patronales ou encore des aides aux entreprises. L’école ne pourra pas reprendre au 13 janvier. 

Un jour de deuil national a été décrété pour le 23 décembre 2024, jour de l’annonce probable du nouveau Gouvernement de François Bayrou. Estelle Youssouffa, député de Mayotte, a fait part de sa colère sur X (anciennement Twitter) « Le deuil national pour Mayotte transformé en journée d’annonce du nouveau Gouvernement… je ne peux imaginer que ce soit demain ce scénario de l’indécence et du mépris pour les Mahorais(es) toujours en détresse absolue ».  

Quant à Mayotte 2025, les ambitions portées par François Hollande et Manuel Valls pour l’île semblent être tombées dans l’oubli.