Les résolutions du Parlement européen : le cas des mercenaires du groupe Wagner
On connaît le Parlement européen dans son rôle de législateur, par le mécanisme des directives et des règlements, mais, tout comme l’Assemblée nationale ou le Sénat, il peut s’emparer de sujets qui ne sont pas purement législatifs, afin d’exprimer officiellement la position du Parlement européen sur certains sujets.
La procédure parlementaire des résolutions
La construction d’une résolution européenne ressemble à la procédure parlementaire classique française. Un texte est proposé par un parlementaire ou un groupe, les auteurs se réunissent dans la commission compétente pour examiner le texte. Ils arbitrent le contenu du texte, en sélectionnant les ajouts éventuels. Le texte est ensuite soumis à la discussion lors des séances plénières, puis voté.
Au sein de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, il existe deux sous-commissions. Ce sont des commissions spécialisées sur une thématique précise, à savoir les droits de l’homme d’une part et la sécurité et la défense d’autre part.
Lors des séances plénières, les parlementaires européens examinent trois résolutions d’urgence relatives aux droits de l’homme. La séance du jeudi 25 novembre 2021 s’intéressait à la situation en Somalie, la situation au Cameroun et aux sociétés militaires privées, en particulier le groupe Wagner.
Le groupe Wagner examiné par le Parlement européen
Wagner est un groupe militaire privé russe, qui intervient, en dehors de tout cadre légal, sur différentes zones de combat, et cela, sans existence légale. En effet, en théorie, les sociétés militaires privées sont interdites en Russie. Mais d’après Le Monde, ces groupements sont utilisés par le Kremlin, afin de mener différentes opérations extérieures, sans pour autant s’engager ouvertement et officiellement. D’après différentes investigations et reportages, les mercenaires du groupe Wagner sont responsables de meurtres, de viols, d’actes de tortures et plus globalement, de crimes de guerre.
Sollicitée par le Projet Arcadie sur les raisons qui ont motivé l’inscription de cette résolution à l’ordre du jour de la séance plénière, Nathalie Loiseau explique que l’ampleur, la systématisation, l’amplitude des exactions du groupe Wagner rendaient nécessaires une réponse de l’Union européenne. Elle souligne également que le groupe Wagner est directement responsable de prédations sur des ressources, en lien avec le Kremlin. Elle ajoute qu’il sera demandé au Mali de s’abstenir de recourir aux services de mercenaires. En défense de son texte — Nathalie Loiseau est coauteur de la proposition de résolution — elle indique : « Madame la Présidente, officiellement, le groupe Wagner n’existe pas. C’est du moins la position du Kremlin. C’est ennuyeux, parce qu’on trouve le groupe Wagner partout où la Russie essaye d’étendre son influence : – en Ukraine, en Syrie, en Libye, en Centrafrique et peut-être un jour — espérons que non, faisons en sorte que non –, au Mali. C’est ennuyeux, parce que les victimes du groupe Wagner, elles, existent bien.
Viols, tortures, assassinats, arrestations arbitraires. Notre résolution décrit les atrocités commises par les hommes de Wagner et c’est une litanie de l’horreur. Il faut saluer tous ceux qui enquêtent sur ces crimes, parfois au péril de leur vie. Trois journalistes russes sont morts assassinés en Centrafrique parce qu’ils enquêtaient sur les exactions du groupe Wagner. C’est sans doute pour cela qu’officiellement, à Moscou, le groupe Wagner n’existe pas : pour permettre à la Russie d’échapper à ses responsabilités face à ses crimes.
Mais le groupe Wagner ne se contente pas de violer massivement les droits de l’homme. Il prospère sur la détresse des pays où il sévit. Exploitation minière, captation des ressources douanières, il ne recule devant rien pour capter les ressources des pays qui ont eu le malheur de recourir à ce qu’on n’ose pas appeler ses services. Ajoutons à cela des campagnes de désinformation massives, car ce groupe russe ne veut pas seulement intervenir partout où cela lui chante, il veut aussi chasser ceux, et notamment les Européens, qui essayent de stabiliser les pays en crise et de les sortir du chaos, fonds de commerce de ces mercenaires.
Alors, je voudrais dire aux autorités maliennes de penser à leur pays, de s’élever au niveau des responsabilités dont elles se sont emparées et de tourner le dos clairement, définitivement, à l’idée de recourir à des mercenaires qui ne feraient qu’ajouter de la violence à la violence sans jamais y mettre un terme. Et je veux saluer notre Union européenne qui a décidé de sanctionner le groupe Wagner et l’enjoindre à agir vite et fort contre ces semeurs de haine et de mort. »
Refus de condamnation des crimes de guerre de Wagner
En théorie, cette proposition de résolution « Violations des droits de l’homme commises par des sociétés militaires et de sécurité privées, notamment le groupe Wagner » aurait dû faire l’objet d’un très large consensus. L’extrême-droite parlementaire a voté contre la résolution, indiquant que l’armée serait plus utile dans les banlieues (en français dans le texte) de Paris et de Marseille « Madame la Présidente ! Plus de 50 soldats français sont morts au Mali depuis 2013. Le pays n’est pas pacifié, les islamistes terrorisent la population. Le gouvernement du Mali souhaite désormais le retrait des troupes françaises et veut protéger la population avec l’aide du groupe russe Wagner. La France appelle à de nouvelles sanctions de l’UE contre la Russie.
Le Mali est le premier échantillon test pour le nouveau ministre vert des Affaires étrangères Baerbock. Restera-t-elle fidèle à sa rhétorique d’émancipation et d’autodétermination de l’Afrique ou remplacera-t-elle, conformément à la demande de Macron, les troupes françaises par des troupes européennes et allemandes ?
Soyons honnêtes ! Dans les banlieues de Paris et de Marseille, les troupes françaises sont plus susceptibles d’être nécessaires pour y protéger des vies. Tout comme les soldats allemands à Duisbourg ou sur la Domplatte de Cologne. »
La surprise est venue du groupe « La Gauche », dans lequel on retrouve les élus de La France Insoumise. Ces derniers se sont tous abstenus sur la résolution. Interrogé sur ce sujet, Manuel Bompard répond : « les 10 premières SMP [NDLR société militaire privée] au monde sont américaines, britanniques et canadiennes. Mais leurs pratiques ne semblent pas poser problème aux rédacteurs de cette résolution. Nous, nous dénonçons toutes ces SMP et refusons de cautionner une indignation à géométrie variable. »
Le groupe avait déposé un amendement pour inclure les sociétés militaires privées américaines, britanniques et canadiennes dans le texte, amendement qui a été repoussé. En effet, des résolutions antérieures du Parlement européen traitent déjà de ce sujet.
Nathalie Loiseau qualifie cette prise de position lamentable et souligne qu’il s’agit d’une réponse très classique des élus de La France Insoumise, qui consiste à parler des Américains, dès qu’il est question des ingérences du Kremlin. « Nous n’avons aucune difficulté à parler de sociétés militaires privées américaines puisque nous l’avons déjà fait en 2017 ».
Quant aux élus du Rassemblement National, dans un bel ensemble, ils ont voté contre la résolution.
Les suites de la résolution parlementaire à l’encontre du groupe Wagner
Sur le plan opérationnel, la résolution Wagner acte le principe des sanctions et permet de donner une base à d’éventuelles sanctions ou à un contrôle des fonds pour les pays en voie de développement. L’objectif est d’éviter qu’ils ne soient utilisés par Wagner.
Est-il possible qu’une résolution identique arrive à l’Assemblée nationale ? « Il n’y a pas de copyright sur mon texte » précise Nathalie Loiseau, en indiquant que si des parlementaires nationaux souhaitent porter le texte au niveau national, cela est tout à fait envisageable.
La balle est dans leur camp et l’Histoire retiendra que les eurodéputés de La France Insoumise ont refusé de voter pour une résolution qui dénonçait les crimes de guerre du groupe Wagner.
Mise à jour du mercredi 23 novembre 2022 à 16 h 04 : on note que le RN et LFI ont toujours du mal à condamner explicitement les actions de l’État russe.