Le dernier rapport de la Cour des comptes explique pourquoi l'État est impuissant face aux logements vacants : il ne sait pas de quoi il parle.
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Logements vacants : chiffres froids pour territoires morts

À la fin du mois de mai 2025, la Cour des comptes a publié un rapport sur les logements vacants dans le parc privé.

Derrière l’apparente technicité du document, une réalité se dessine : l’absence de réponse publique sérieuse sur le sujet s’explique d’abord par une faille méthodologique abyssale. En France, on ne sait toujours pas ce qu’est un logement vacant.

Trois millions de logements vacants sans définition commune

Les magistrats de la rue Cambon évoquent 3 millions de logements vacants, dont 1,1 million depuis plus de deux ans. Ce chiffre n’a rien d’évident.

L’Insee et la direction générale des Finances publiques n’utilisent ni les mêmes critères, ni les mêmes méthodes pour identifier un logement inoccupé. L’un se fonde sur le recensement, l’autre sur des déclarations fiscales.

Avec la suppression de la taxe d’habitation, un des derniers outils fiables pour savoir si un logement est occupé a disparu. Il ne reste que des indicateurs partiels : taxe foncière, taxe sur les résidences secondaires, fichiers croisés. La base de données Lovac, censée structurer l’effort public, est elle-même bâtie sur des approximations. Aucune série statistique robuste ne permet de savoir précisément combien de logements sont vacants, ni depuis quand, ni pour quelles raisons.

De multiples causes sans articulation

Les causes de vacance sont connues, mais mal hiérarchisées. Dans certaines zones, les logements ne trouvent ni acheteur, ni locataire. Dans d’autres, les biens sont devenus des épaves, proposés à des prix attractifs, mais dont les travaux de rénovation excèdent la valeur du bien.

Les situations de succession non réglée ou d’indivision paralysée sont fréquentes. Un logement dont le propriétaire est décédé ou placé en établissement médico-social a entre quatre et cinq fois plus de chances de rester vacant.

La Cour se contente de citer cette donnée sans chercher à en expliquer les causes. Dès lors, le lecteur – qui peut être un journaliste ou un député – en est réduit à des conjectures.

Une vacance concentrée dans les territoires abandonnés

Si on parle beaucoup de la vacance de logements dans les zones tendues, notamment à Paris, celle-ci est en réalité assez minime d’après la Cour des comptes. Cela ne représente que 1.3 % du parc privé.

La vacance durable touche en priorité les zones dites détendues. La Creuse, l’Allier ou la Nièvre dépassaient déjà les 14 % de logements vacants en 2020. Depuis, les données publiques se sont taries. Pourtant, tout indique une tendance à l’aggravation dans les territoires en perte de population.

Carte de France (hexagone) du taux de logements vacants par département.
Données issues de l'INSEE.

Le rapport n’en tire aucune lecture territoriale. Il n’interroge pas les liens entre vacance, désertification démographique et recul des services publics. L’effondrement des bassins d’emploi, la disparition des transports, la fermeture des écoles ou des hôpitaux ne sont tout simplement pas intégrés dans le rapport. L’aménagement du territoire est cité, mais jamais être analysé comme le cœur du problème.

Des collectivités locales exposées, sans pouvoir d’agir

La responsabilité du repérage et de la sensibilisation est renvoyée aux collectivités, via des outils comme Lovac ou Zéro Logement Vacant. Ces collectivités sont livrées à elles-mêmes, sans levier financier, juridique ou opérationnel. Ce sont elles qui identifient, relancent, contactent.

Mais ce sont les propriétaires qui détiennent le pouvoir d’agir. L’État, lui, se tient en retrait, dans un rôle d’observateur outilleur et éventuellement comme distributeur de sanction, avec la taxe sur les logements vacants, dont la Cour des compte dit qu’elle n’est pas si efficace que cela « En tout état de cause, l’outil fiscal seul ne saurait répondre à des enjeux de lutte contre la vacance différenciés selon les territoires ».

Dans les faits, une fraction minime des logements repérés sort de la vacance. Les causes sont connues, mais ignorées dans leur traitement. La Cour évoque l’obsolescence de près de la moitié des biens vacants sans jamais en tirer la conclusion que la rénovation n’est pas toujours économiquement rationnelle.

L’économie réelle de la rénovation totalement absente

Paradoxalement, le rapport semble faire reposer la vacance des logements sur les seuls propriétaires, en oubliant un acteur essentiel : les banques. En effet, le rapport souligne que les logements vacants sont parfois frappés d’obsolescence. Derrière ce terme, on désigne les logements qui ne sont plus adaptés aux besoins des populations : manque d’accessibilité, problème d’énergie, luminosité, etc. Or, comme l’ont expliqué plusieurs agents immobiliers, sous couverts d’anonymat, les banques sont devenues extrêmement frileuses sur les diagnostics de performance énergétique.

Coup dur supplémentaire : d’après nos confrères du Parisien, MaPrimeRénov’ qui permettait aux propriétaires d’engager des travaux avec le soutien de l’État sera suspendue dès le mois de juillet.

Le rapport ne chiffre pas le coût moyen d’une remise aux normes. Il ne dit rien sur les difficultés d’accès au crédit, sur le rôle des banques, sur le refus des établissements financiers de financer des biens notés F ou G en diagnostic énergétique. Il ne distingue pas les profils des propriétaires : ni les multipropriétaires spéculateurs, ni les héritiers démunis, ni les seniors isolés ne sont identifiés.

Ce silence statistique a un effet politique : il rend toute réponse publique impossible. Comment formuler une politique d’accompagnement, d’incitation ou de contrainte sans savoir à qui l’on s’adresse, ni pourquoi le logement est vide ?

Successions bloquées, propriétés fantômes

Les cas de vacances liés aux successions non réglées, aux indivisions paralysées ou à l’absence d’héritiers mobilisés sont traités en une ligne. Aucune proposition n’est faite pour améliorer les outils de médiation, de portage public ou de rachat ciblé. Pourtant, ce sont des milliers de logements figés pour des raisons juridiques, non économiques, qui pourraient faire l’objet d’un traitement public concerté.

Une proposition de loi, portée par Louise Morel s’était attaquée à cette question de l’indivision successorale. Comme le rappelle l’exposé des motifs « Cette situation est susceptible de durer longtemps, très longtemps, et certaines indivisions successorales litigieuses durent depuis 20, 30 ou 40 ans ». Toujours d’après l’exposé des motifs, « a Direction nationale d’intervention domaniale (DNID) évalue à 22 % du stock immobilier total disponible (soit plus de 5 500 immeubles en 2022) ces immeubles en succession vacante, parfois à l’abandon depuis de nombreuses années. Ces biens vacants sont source de nuisances importantes pour le voisinage (squats, biens menaçant ruine, etc.). ».

Le texte proposait de créer un outil supplémentaire de recensement des biens abandonnés et de faciliter les sorties d’indivision. Adoptée en janvier 2025, la texte est en souffrance au Sénat depuis mars 2025.

L’oubli des leviers publics fondamentaux

L’autre oubli assez flagrant du rapport réside dans les stratégies foncières.

Le droit des sols, les plans locaux d’urbanisme, les autorisations de transformation ou de démolition ne sont jamais mentionnés. Le foncier n’est pas envisagé comme un levier stratégique. Les préemptions, les réquisitions, les rachats par les collectivités ne sont pas évoqués.

Et pour cause : une partie de ces leviers nécessite des besoins financiers importants. Dans certaines municipalités, comme à Saint-Denis, la mairie a décidé de préempter les immeubles vétustes, pour chasser les marchands de sommeil.

Mais, cette stratégie a un coût pour la collectivité et dans des territoires plus pauvres, racheter les biens n’est pas faisable, encore moins dans une période où le Gouvernement somme les collectivités territoriales de faire des économies.

Lecture administrative d’un effondrement

La Cour traite la vacance comme un phénomène technique, alors qu’elle est le symptôme d’un déséquilibre territorial profond. Ce que le rapport montre, sans l’analyser, c’est l’archéologie lente d’un effondrement. Le logement vacant n’est pas un objet passif. C’est un marqueur actif d’abandon.

Loin de ses tableaux et de ses bases de données, la vacance est ce qu’on voit en traversant les villages : des volets clos, des façades qui s’effritent, des rues sans commerces, des écoles désertées. Ce n’est pas un problème de bâti, c’est un problème de pays.

Ce problème n’est pas cantonné à la France : tous les pays de l’Union européenne rencontrent des difficultés, au point qu’une commission spéciale a été créée au Parlement européen.