
Du plomb dans l’aile pour la loi Duplomb : la motion de rejet préalable adoptée à l’Assemblée nationale
L’examen de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur a été interrompu dès son entrée en séance publique.
Ce lundi 26 mai 2025, les députés devaient entamer l’examen de la proposition de loi portée par la majorité présidentielle et soutenue par la FNSEA. Mais, face à l’avalanche de 3 455 amendements, essentiellement déposés par les groupes de gauche, le rapporteur Julien Dive a pris les devants en déposant une motion de rejet préalable, adoptée cet après-midi.
Ce choix tactique permet de court-circuiter le débat en séance publique pour renvoyer le texte directement en commission mixte paritaire (CMP). Dans cette instance, la majorité présidentielle, la droite et le Rassemblement national disposent d’un rapport de force favorable face à une gauche minoritaire. Pour les promoteurs du texte, il s’agit d’éviter un enlisement parlementaire dans une bataille d’amendements jugée dilatoire.
Une proposition soutenue par la FNSEA et les syndicats agricoles
Les agriculteurs se plaignent d’une charge administrative démesurée, alors même que leurs homologues allemands n’ont pas autant de contraintes. Car, si certaines mesures régissant actuellement la production agricole sont bien issues des règlements et directives européennes, les parlementaires souffrent d’un mal très français : la surtransposition. Les agriculteurs français sont soumis à plus de normes, qui augmentent le prix pour les consommateurs, mais, les produits importés n’ont pas les mêmes obligations, ce qui entraîne une concurrence déloyale.
L’initiative bénéficie du soutien actif de la FNSEA. Son président, Arnaud Rousseau, s’est exprimé en marge d’un rassemblement d’agriculteurs devant le Palais Bourbon : « Il y a beaucoup d’autres textes qui attendent, mais on s’est bagarré pour avoir un créneau, on ne va pas le laisser passer. »
Le retour controversé du conseil couplé à la vente de pesticides
Parmi les mesures les plus contestées figure l’article premier, qui revient sur la séparation entre vente et conseil à l’usage des produits phytopharmaceutiques, instaurée par la loi Egalim de 2018. Le texte permet à nouveau, dans certains cas, de cumuler les deux fonctions, en modifiant en profondeur le cadre réglementaire.
Pour les députés de La France insoumise (LFI), il s’agit d’un recul majeur. Ils dénoncent la remise en cause d’un principe fondamental : garantir l’indépendance du conseil agricole. Selon eux, réintégrer le conseil dans la sphère commerciale revient à orienter les pratiques vers la prescription de produits, au détriment de diagnostics techniques objectifs et de l’agroécologie. Le Pôle du Conseil Indépendant en Agriculture, instance non partisane, s’est également élevé contre cette réforme, alertant sur la perte de repères scientifiques au profit d’intérêts commerciaux.
Une réintroduction possible des néonicotinoïdes sous condition
L’article 2 du texte introduit un mécanisme de dérogation à certaines interdictions d’usage de produits phytosanitaires, notamment en cas d’absence d’alternative et dans le cadre d’un plan de recherche encadré. Cette disposition pourrait rouvrir la voie à l’usage exceptionnel de substances comme les néonicotinoïdes.
Ces insecticides de synthèse, parmi les plus puissants jamais utilisés, ont été interdits en France depuis 2016 en raison de leur impact sur les pollinisateurs et la biodiversité. Leur éventuelle réintroduction suscite l’hostilité de l’opposition, qui y voit une atteinte au principe de non-régression environnementale, inscrit dans le code de l’environnement. LFI rappelle que la France avait été pionnière dans leur interdiction, contribuant à un tournant européen sur le sujet.
Autoriser à nouveau ces molécules, même temporairement, reviendrait selon eux à fragiliser les écosystèmes, la filière apicole et les rendements agricoles eux-mêmes.
Élevage intensif et régime d’enregistrement simplifié
L’article 3 réforme la procédure d’autorisation environnementale pour les projets d’élevage bovin, porcin et avicole. Il introduit une phase d’instruction en trois temps et ouvre la possibilité, pour certaines installations, de relever du régime simplifié de l’enregistrement, plutôt que de l’autorisation.
Cette simplification est jugée excessive par les députés écologistes. Un amendement élaboré avec Greenpeace propose de renforcer le rôle de l’Autorité environnementale. En cas d’avis défavorable ou de lacunes majeures dans une étude d’impact, il imposerait un nouvel avis formel après correction, contraignant le porteur de projet à répondre précisément aux critiques.
Selon ses auteurs, il ne saurait y avoir d’évaluation sérieuse si les expertises environnementales peuvent être ignorées sans conséquence.
Une régulation de l’usage de l’eau qui divise
La proposition de loi consacre également un important volet à la gestion de la ressource en eau. Elle instaure un moratoire de dix ans sur la construction de mégabassines, exige des études hydrologiques obligatoires avant autorisation, et conditionne certains usages de l’eau à l’agriculture biologique.
Ces mesures sont partiellement saluées par les ONG environnementales, qui y voient des avancées timides. Elles estiment toutefois qu’elles ne suffisent pas à remettre en question un modèle agricole intensif fondé sur l’irrigation massive. Elles appellent à une refonte plus ambitieuse vers une agriculture plus économe en eau, fondée sur les sols, les cycles naturels et la résilience climatique.
Contrôles renforcés, tensions possibles
Le texte prévoit par ailleurs l’équipement des inspecteurs de l’environnement de caméras individuelles. Ces enregistrements visent à prévenir les incidents et à fournir des preuves en cas de litige. Un outil de suivi public des contrôles est également prévu.
La mesure, moins contestée que d’autres, suscite néanmoins des interrogations. Certains craignent qu’elle n’installe une logique de méfiance entre exploitants et autorités de contrôle, alors même que la coopération est essentielle pour accompagner la transition agricole.
Une discussion générale explosive
Lors de sa prise de parole, Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, a apporté son soutien à la motion de rejet préalable, qui devait être présentée par Julien Dive. Lors de l’annonce par le président de Roland Lescure de la présentation de la motion de rejet préalable, les rappels au règlement se sont enchaînés, principalement sur la base de l’article 100 du règlement de l’Assemblée nationale.
Cyrielle Chatelain a déploré l’utilisation de cette technique parlementaire. En réponse, Jean-Luc Fugit a rétorqué « vous avez fait le choix de refuser le débat ». Il a souligné que la présidente de l’Assemblée nationale a proposé aux écologistes et aux insoumis de retirer une partie de leurs amendements ou que les débats soient organisés en temps législatif programmé, afin de ne pas enliser les débats. Ce fut refusé. Il a conclu d’un cinglant « Vous méprisez le débat parlementaire […] Vous méprisez les agriculteurs eux-mêmes ».
Prenant la parole à son tour, Mathilde Panot a déclamé « Vous inventez une nouvelle forme de 49-3 (sic !) » et annoncé « Ce n’est plus vous qui légiférez, mais la FNSEA qui fait sa loi » et annonce le dépôt d’une motion de censure.
À l’inverse des autres députés, Sébastien Chenu a fait son rappel au règlement, non pas sur le fondement de l’article 100, mais sur l’article 58 « la technique de La France Insoumise, c’est la technique du pourrissement […] Ils détestent les paysans, ils détestent la ruralité et ils détestent la démocratie et l’expression des Français ».
Concluant ce tunnel de rappel au règlement, Boris Vallaud a déploré un déni de démocratie, par l’utilisation de la motion de rejet préalable.
Dans une atmosphère déjà électrique, les députés de LFI ont conclu leur explication de vote, en brandissant des pancartes, ce qui est formellement interdit dans l’hémicycle.
La motion de rejet préalable a été adoptée avec 274 voix pour et 121 voix contre.
Une CMP sous haute tension
Avec l’adoption de la motion de rejet préalable, l’ensemble des amendements, dont ceux déposés par la gauche, sont écartés. Le texte est désormais orienté vers une commission mixte paritaire, où la droite et la majorité présidentielle disposent d’une majorité. Reste à savoir si la gauche parviendra à infléchir les équilibres lors de cette ultime phase de négociation.
Le sort de cette proposition de loi, au-delà de ses dispositions techniques, reflète les fractures profondes sur la manière de penser l’avenir du modèle agricole français.
Le détail du scrutin sur la motion de rejet préalable est disponible ici.