Affaire des assistants parlementaires fictifs : Marine Le Pen condamnée et déclarée inéligible
Après dix ans d’enquête, la justice a tranché: Marine Le Pen a été condamnée ce lundi 31 mars 2025 dans l’affaire des assistants parlementaires fictifs du Rassemblement national. Une décision aux lourdes conséquences politiques.
Une procédure longue et embarrassante
Ce lundi 31 mars 2025, le tribunal a rendu son verdict : Marine Le Pen est condamnée et déclarée inéligible. C’est le premier aboutissement judiciaire d’une affaire qui remonte à 2015 et qui empoisonne le Rassemblement national (ex-FN) depuis près d’une décennie.
Tout commence le 10 mars 2015, lorsque l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) est saisi par le Parlement européen. Ce dernier soupçonne des irrégularités dans l’emploi des assistants parlementaires de plusieurs eurodéputés du Front national. Bien qu’ils soient rémunérés par l’institution européenne pour des missions parlementaires, plusieurs d’entre eux sont suspectés d’avoir en réalité travaillé pour le parti politique.
Il est interdit pour un assistant parlementaire de travailler pour un parti politique. Il peut faire du bénévolat, sur son temps libre ou avoir un contrat à temps partiel, mais les deux univers doivent être strictement séparés.
Un système au-delà du RN
Vingt-cinq personnes sont poursuivies dans ce dossier, mais les soupçons d’emplois fictifs ne se limitent pas au seul Rassemblement national. En 2017, Sophie Montel, ex-eurodéputée FN ayant quitté le parti, alerte également sur des pratiques similaires dans d’autres formations politiques : l’UDF, le MoDem ou encore le Front de Gauche.
Dans son livre, elle explique que le recours à des assistants parlementaires fictifs est quasiment devenu une norme dans les partis politiques français et s’étonne que seul le RN soit visé.
François Bayrou, patron du MoDem a été relaxé au bénéfice du doute. Néanmoins, cinq anciens eurodéputés ont été condamnés pour détournement de fonds publics : Janelly Fourtou, Thierry Cornillet, Bernard Lehideux, Anne Laperrouze et Jean-Luc Bennahmias ainsi que Michel Mercier, en tant que trésorier du parti. Les peines allaient de dix à dix-huit mois de prison avec sursis, de 10 000 € 50 000 € d’amendes et deux ans d’inéligibilité. Les partis, en tant que personnes morales, ont aussi été condamnés : l’UDF a écopé de 100 000 € et le MoDem de 300 000 € d’amendes.
Jean-Luc Mélenchon était également visé par ces signalements, mais, dans son cas, le dossier est gelé. Les investigations ont été ouvertes en novembre 2018. Deux personnes ont été placées sous le statut de témoins protégés en mai 2022 et depuis, il ne s’est rien passé.
Accélération de l’enquête
Parallèlement à l’enquête de l’OLAF, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire dès mars 2015. L’OLAF, plus rapide, remet son rapport en août 2016, et en décembre, réclame 340 000 € à Marine Le Pen. La somme correspond aux salaires de deux assistants, Catherine Griset et Thierry Légier. Elle finira par rembourser cette somme en 2023.
Elle n’est pas la seule visée : six députés européens devront rembourser les salaires versés à leurs assistants parlementaires, pour un montant total s’élevant à 1.1 million d’euros, parmi lesquels Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch.
Une cascade de mises en examen
En 2017, Catherine Griset et Charles Hourcade sont mis en examen pour recel d’abus de confiance. Suivront Marine Le Pen et Louis Aliot, d’abord pour abus de confiance, puis pour détournement de fonds publics. En 2018, la liste des mis en cause s’allonge avec d’anciens assistants parlementaires.
Les peines requises sont lourdes : prison avec sursis, amendes, mais surtout inéligibilité immédiate grâce à l’exécution provisoire. Cela signifie que les condamnés ne peuvent plus se présenter à une élection, même s’ils font appel.
L’exécution provisoire : le véritable enjeu
La loi a prévu une sorte d’exception : les titulaires d’un mandat exécutif local – maire, conseiller départemental, conseiller régional – sont déchus d’office. Les élus titulaires d’un mandat parlementaires sont « protégés ». Ils peuvent garder leur mandat, mais, si une nouvelle élection survient, par exemple, une dissolution, ils ne pourront pas se présenter.
Tout l’enjeu du procès du RN tenait à cette exécution provisoire. Comme son nom l’indique, une exécution provisoire s’exécute tout de suite, même si la personne fait appel de la décision. Si les magistrats ne demandent pas l’exécution provisoire, la personne peut garder ses mandats locaux et même se présenter à n’importe quelle élection, tant que les décisions de justice ne sont pas définitives. Celles-ci le deviennent quand toutes les voies de recours sont éteintes, c’est-à-dire que la personne a fait appel, a été en cassation et a même sollicité les instances européennes. Cette « purge » des voies de recours peut prendre plusieurs années, comme on a pu le voir avec les affaires Fillon.
Les élus en péril
En premier lieu, il y a Marine Le Pen, qui sera candidate à l’élection présidentielle en 2027. Mais, en fonction des humeurs du président de la République, si une nouvelle dissolution survenait, elle ne pourrait pas se représenter pour garder son siège de député.
Louis Aliot, actuel maire de Perpignan, briguant un nouveau mandat, perdrait d’office son poste de député.
Nicolas Bay, actuellement député européen ECR, perdrait son siège de conseiller régional. Ce sera également le cas Julien Odoul : il perdrait son siège de conseiller régional et potentiellement son mandat de député, en cas de nouvelle dissolution. Timothée Houssin, député est pareillement dans ce cas de figure. Les autres accusés ne sont pas ou plus titulaires de mandats.
Diverses peines de prison et d’amendes sont aussi requises. Mais, il s’agira de peines aménageables et la crainte des accusés résidait bien dans l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.
Une exception en raison de la popularité ?
Au moment des réquisitions, Marine Le Pen avait déclaré « c’est ma mort politique qu’on veut » et dans les médias du groupe Bolloré, elle avait asséné « Si je suis interdite de me présenter avec exécution provisoire, c’est-à-dire avec l’impossibilité en réalité que mon appel puisse avoir une influence sur la décision qui a été prise, ce serait incontestablement une décision profondément antidémocratique, puisqu’elle priverait le peuple français de potentiellement choisir sa future présidente de la République ».
Bizarrement, elle a été soutenue par l’ancien commissaire européen Thierry Breton, qui a déclaré dimanche 30 mars 2025 « Il y a un nombre très important de nos concitoyens français qui se retrouvent dans les propos et le combat de Marine le Pen et personnellement, je serai très ennuyé, et le mot est faible, si elle ne pouvait pas se présenter pour les représenter » durant le Grand jury RTL-Le Figaro-Public Sénat-M6.
Ce n’est pas vraiment l’avis de la gauche. Pour Olivier Faure, premier secrétaire du PS, interrogé par LCI « Je ne comprends pas pourquoi on a cette espèce de regard particulier pour Marine Le Pen, alors que quand vous avez quelqu’un qui vole une voiture, qui vole une mobylette, qui agresse quelqu’un, il n’y a aucune forme de tremblement au moment où la décision va être prise. Vous pensez que quand quelqu’un désormais vole une voiture et qu’il se déclare candidat à la présidentielle, on devra aussi l’exempter de sa peine ?». Fabien Roussel, secrétaire national du PCF ne dit pas autre chose dans Ouest-France « Je ne vois pas pourquoi madame Le Pen devrait bénéficier d’une exemption à la loi ».
Nul n’est au-dessus de la loi, pas même un(e) candidat(e) à l’élection présidentielle
Les magistrats ont estimé que Marine Le Pen ne pouvait se soustraire à la loi. Leur décision est claire : condamnation, inéligibilité immédiate, et rappel que nul, pas même une figure politique majeure, n’est au-dessus des règles républicaines.
Marine Le Pen est reconnue coupable de détournement de fonds publics. Le préjudice total est de 2.9 millions d’euros.
En tant que cheffe, Marine Le Pen a écopé de la peine la plus lourde sur les vingt-cinq prévenus : inéligibilité de cinq ans avec exécution immédiate, quatre ans d’emprisonnement dont deux fermes sous bracelet électronique et 100 000 € d’amende.
Le parti en lui-même est condamné à deux millions d’euros d’amende dont un million ferme.
Louis Aliot est condamné à 18 mois de prison dont six mois ferme et à trois ans d’inéligibilité. Néanmoins, il échappe à l’exécution provisoire, le tribunal ayant estimé qu’il fallait respecter la liberté des électeurs dans le choix de leur maire, reprenant ainsi les mots du Conseil constitutionnel dans sa décision du vendredi 28 mars 2025.
Tous les prévenus ont été reconnus coupables.
On ressortira cette archive pour mémoire.
