Niches fiscales des retraités : le tabou qui coûte cher à l’État
En dépit des recommandations de la Cour des Comptes, les députés refusent globalement de toucher aux avantages fiscaux des retraités.
Les recommandations ignorées de la Cour des Comptes
À l’heure où le Gouvernement cherche des mesures d’économies, on aurait pu penser que toutes les options étaient sur la table. Ce n’est pas le cas.
Dans un rapport du mois d’octobre 2024, la Cour des Comptes avait publié un rapport intitulé « Conforter l’égalité des citoyens devant l’imposition » et émis une série de recommandations, sur la base des travaux du CPO (Conseil des prélèvements obligatoires).
Des avantages fiscaux sans réelle justification
L’institution fait le bilan de trois mesures fiscales et sociales avantageuses pour les retraités : l’abattement de 10 % sur le revenu imposable, l’abattement d’assiette profitant aux contribuables âgés de plus de 65 ans ou invalides, et la CSG à taux dérogatoire : 8,3 % pour les pensions de retraites et d’invalidité, et 6,2 % pour les autres revenus de remplacement.
L’abattement de 10 % a un coût global de 4,6 milliards d’euros. L’abattement d’assiette n’est pas chiffré, de même que le taux réduit de CSG. Pour la Cour des Comptes, « Le traitement fiscal favorable des retraités aisés par rapport aux actifs ne correspond en pratique à aucune justification identifiée de politique publique ».
Elle appelle à un recentrage de ces trois mesures vers les foyers les plus modestes, car ces mesures peuvent se cumuler : « L’abattement de 10 % pour les pensions et l’abattement d’assiette bénéficiant aux contribuables âgés de plus de 65 ans étant intégrés au RFR [NDLR : Revenu Fiscal de Référence], ces dispositifs ont pour effet d’élargir le champ d’application du taux réduit. Ainsi, un retraité célibataire de plus de 65 ans, sans personne à charge et percevant une pension allant jusqu’à 29 094 € sera éligible au taux réduit de CSG par effet du cumul de ces deux dispositifs ».
Un cumul de dispositifs coûteux pour les finances publiques
Pour la Cour des Comptes, recentrer ces dispositifs permettrait de dégager 1,3 milliard d’euros par an.
L’abattement de 10 % – souvent appelé abattement pour frais professionnels – date de 1977.
Maurice Papon introduit cet avantage fiscal par voie d’amendement, et il est défendu par Marc Lauriol avec la justification suivante : « Or, il est clair que les personnes âgées doivent supporter divers frais tout aussi réels que les frais professionnels des salariés : frais de logement, de transport et de santé, notamment quand il s’agit de prothèses auditives, optiques ou dentaires qui sont d’ailleurs — je le signale — fort mal remboursées par la Sécurité sociale, mais dont les personnes âgées, ont particulièrement besoin ».
Une autre justification était que cet abattement permet de faire face à l’augmentation des impôts au moment de la retraite. Or, comme le souligne la Cour des Comptes, cette justification n’a plus aucun sens, dans la mesure où le prélèvement à la source a été mis en place et que les contribuables peuvent moduler le montant de leur impôt.
Depuis, personne ne l’a remis en cause. Une recherche dans les amendements sur les textes budgétaires déposés à l’Assemblée nationale ne donne aucun résultat avant la XVIIe législature.
Une frilosité politique face au sujet
Astrid Panosyan-Bouvet a timidement émis l’idée d’une contribution de certains retraités – les plus aisés – au financement de la Sécurité sociale. La levée de bouclier a été immédiate, et Éric Lombard a exclu une taxation des retraités.
Alors qu’ils ont du temps pour s’épancher sur les réseaux sociaux sur n’importe quoi, y compris la Star Academy, bizarrement, les députés ont été frappés de timidité lorsqu’ils ont été sollicités sur ce sujet. Sur 559 députés, ils sont seulement huit à exprimer une opinion.
Les rares députés qui osent s’exprimer
Premier à répondre, avec sa franchise habituelle, Stéphane Vojetta (apparenté Ensemble pour la République) n’est pas fermé à l’idée de revoir certains avantages : « Personnellement, je corrigerais l’abattement pour frais professionnels, en trouvant le moyen de l’éliminer pour les retraites > 3000 euros/mois, en évitant les effets de seuil ».
Philippe Lottiaux (Rassemblement national) est fermement opposé à cette idée : « Je suis contre toute mesure de ce type qui va encore alourdir les taxes pesant sur les Français, ici les retraités. En outre, une retraite à 2000 ou 2500 euros ne fait pas de vous quelqu’un d' »aisé ». »
Cet avis est partagé par Thibault Bazin (Droite Républicaine) : « Je ne suis pas favorable à une taxation supplémentaire pour les retraités. Les retraités ont travaillé toute leur vie en cotisant et ainsi obtenu leur pension de retraite qu’ils méritent. »
Même son de cloche chez Constance Le Grip, qui dit partager la position d’Éric Lombard, à savoir « pas de nouveaux impôts sur les ménages ».
Des contradictions dans la taxation des actifs et retraités
Pourtant, de nouveaux impôts pour les ménages vont voir le jour, plus précisément une augmentation des cotisations pour les travailleurs indépendants.
Elles ont déjà été revues à la hausse, mais, au 1ᵉʳ janvier 2026, les cotisations passeront de 24,6 % à 26,1 %, uniquement pour la partie « prestations », à laquelle s’ajoutent d’autres prélèvements. Cela est prévu par le décret n° 2024-484 du 30 mai 2024 modifiant les taux globaux de cotisations et contributions de certains travailleurs indépendants exerçant dans le cadre de la microentreprise. Le discours officiel indique qu’il s’agit de garantir les « droits à la retraite complémentaire ».
Sauf que les retraites fonctionnent par répartition : on cotise pour les autres, pas pour soi. Ce sont les actifs qui cotisent pour les retraités, ce qui revient à alourdir la fiscalité des ménages au bénéfice des retraités.
Un débat timide mais nécessaire
Joël Bruneau (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) est plus partagé : « Je pense effectivement que créer de la dette pour les enfants et petits-enfants des retraités afin de maintenir les avantages actuels n’est pas moral. Pour autant, augmenter les prélèvements sur les retraites n’a de sens que si l’État sait parallèlement se réformer pour moins dépenser. N’oublions jamais que le niveau de prélèvements obligatoires est très élevé ».
Par téléphone, Jean-René Cazeneuve indique qu’il souhaite déposer un amendement pour mettre à contribution les retraités les plus aisés.
Au MoDem, on a moins de problèmes avec le sujet. Perrine Goulet rappelle un amendement déposé par Jean-Paul Mattei sur le projet de loi de finances pour 2025. Le groupe démocrate, en lieu et place de la désindexation temporaire des pensions de retraite, proposait de réduire le nombre de bénéficiaires de l’abattement de 10 %, afin de le recentrer sur les retraités modestes. Échec du groupe sur ce terrain.
Et la gauche ? Un seul député a pris la peine de répondre : Abdelkader Lahmar (La France Insoumise). Pour lui, « les mesures sont justes lorsqu’elles sont ciblées ». Il n’est pas opposé à l’ouverture d’un débat sur le sujet : « il faut trouver des solutions » dit-il, précisant qu’il exprime une position personnelle, qui n’engage pas son groupe.
Pour avoir une idée de leur position globale, il faut se référer au compte rendu de séance lorsque l’amendement du MoDem a été examiné.

C’est ainsi qu’on a pu voir La France Insoumise défendre les retraités les plus aisés. Le scrutin a été fait à main levée, il n’y a pas de détail de vote.
Les retraités, un électorat clé
Selon l’INSEE, dans une note du 17 novembre 2022, seuls les septuagénaires continuent de voter en majorité de façon systématique.
Boîte noire
Les députés ont tous été sollicités par email, sans distinction de groupe, et ils ont tous reçu le même message.
Le nombre de 559 correspond aux députés effectivement en fonction au moment de la sollicitation, or l’hémicycle n’est pas complet en raison des changements de ministres.