Panne informatique à l’Assemblée nationale : quand la démocratie bugue, la voix reprend ses droits
Il y a des textes qui semblent maudits tant les obstacles à leur adoption s’accumulent. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic en fait partie.
Un article controversé relancé par trois députés
Jeudi 20 mars 2025, les députés entamaient l’examen de l’article 8 ter, peu avant la suspension pour le dîner. Cet article, supprimé en commission des Lois à une large majorité transpartisane, visait à imposer la création de portes dérobées dans les applications de messagerie sécurisée.
Face aux risques techniques, aux atteintes aux droits fondamentaux, mais aussi aux incompatibilités juridiques – une telle mesure contrevenant à la législation européenne – les députés avaient écarté ce projet, pourtant cher au ministre de l’Intérieur.
Mais trois députés, Olivier Marleix, Paul Midy et Mathieu Lefèvre, ont décidé de ressusciter l’article 8 ter en déposant des amendements identiques.
Une discussion houleuse et des arguments techniques fragiles
Examinés en discussion commune, les trois amendements ont reçu des avis défavorables du rapporteur et de la commission. En substance, leur adoption aurait fragilisé la sécurité des communications électroniques de l’ensemble des Français sur des applications comme WhatsApp ou Telegram.
Certains députés ont pointé l’étrangeté de la situation : pourquoi ces amendements n’étaient-ils pas directement portés par le ministre de l’Intérieur, qui semblait se défausser sur ses collègues ?
Mathieu Lefèvre a opéré un glissement étonnant en assimilant la lutte contre le trafic de stupéfiants à la sauvegarde des intérêts vitaux de la Nation. Une confusion juridique manifeste : cette notion ne s’applique pas aux stupéfiants.
Appelé en renfort, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a donné un avis favorable aux amendements, au prix d’explications techniques laborieuses et confuses. Il s’est même embrouillé au point de se prononcer sur des sous-amendements déjà votés.
Après une longue discussion où chacun a pu s’exprimer, Olivier Marleix en a profité pour accuser ses opposants d’être à la solde des messageries chiffrées, précisant qu’ils n’étaient « pas là pour faire un concours de geeks ».
Le vote électronique tombe en panne
La présidente de séance, Naïma Moutchou, a alors appelé au scrutin public. Chaque député devait voter électroniquement via un boîtier individuel comportant trois boutons : pour, contre, abstention. Ce sont les députés qui demandent les scrutins publics, afin de garder une trace des positions des uns et des autres.
Mais la machine a planté. Trois tentatives, et à chaque fois : zéro partout. La séance a été suspendue une trentaine de minutes, le temps de diagnostiquer la panne. Le verdict est tombé : un circuit électronique grillé rendait l’appareil inutilisable.
Impossible pourtant de renoncer au vote public : les positions de chaque député devaient impérativement être consignées.
Retour au vote à l’ancienne, dans un calme inattendu
La présidente a donc lancé un vote à l’ancienne : appel nominal des députés par ordre alphabétique et par groupe.
Contre toute attente, ce sont les députés de La France insoumise qui ont donné l’exemple en s’organisant devant le micro, chacun indiquant les absents avant de voter à haute voix. Le groupe socialiste, le groupe écologiste, le groupe MoDem et le groupe de la droite républicaine leur ont emboîté le pas. Si on nous avait dit un jour que les groupes du centre et de la droite prendraient exemple sur La France Insoumise, on n’y aurait pas cru.
L’exercice, en apparence simple, a néanmoins donné lieu à quelques ratés : des députés se sont déclarés absents en arrivant au micro ou ont hésité au moment de voter, certains faillant même à voter pour des collègues sans délégation.
Paradoxalement, cette panne a permis de détendre l’atmosphère. Marie-Charlotte Garin a même été aperçue dansant dans les travées, attendant son tour pour voter.
Les amendements rejetés, la démocratie continue
Une fois les votes centralisés, le résultat, connu d’avance après ce décompte à voix haute, est tombé : les amendements visant à rétablir l’article 8 ter ont été rejetés.
Naïma Moutchou, fidèle à la tradition qui veut que la présidence ne prenne pas part au vote, a conclu la séance d’un trait d’humour : « Même sans informatique, la démocratie continue », lançant un regard malicieux vers un ministre de l’Intérieur visiblement dépité.
Le marathon parlementaire se poursuit
Il reste 469 amendements à examiner. Dès demain, 9 heures, les députés devront se pencher sur l’article 16 et le très attendu dossier « coffre ».
En théorie, le vote final sur le texte est prévu pour mardi 25 mars 2025, après la séance des Questions au Gouvernement. Mais au vu du rythme des débats, la séance de vendredi soir pourrait se prolonger, voire contraindre les députés à siéger ce week-end.
Espérons, pour celui ou celle qui présidera la séance demain, que les députés ne réclameront pas un scrutin public. Rien ne dit que la machine sera réparée d’ici là.