Les sénateurs ont commencé l'examen du projet de loi sur Mayotte, un teste principalement sécuritaire.
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Mayotte : un texte de refondation au Sénat, entre ambition et scepticisme

Les sénateurs ont entamé l’examen d’un texte massif et multisectoriel, censé répondre aux urgences économiques, sociales et sécuritaires de Mayotte : le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.

Ce texte, qui fait suite au projet de loi d’urgence voté à la mi-février 2025, entend poser les bases d’une transformation structurelle du 101e département français à l’horizon 2031.

Avec six titres, 34 articles et une série de mesures couvrant l’immigration, l’habitat, la protection sociale, l’économie et les institutions, le projet revendique une ambition rare, mais difficilement lisible. Il vise une convergence vers le droit commun et veut, selon ses auteurs, « affirmer l’ambition de la République pour le développement de Mayotte ».

Derrière cette promesse, la réalité parlementaire et territoriale reste complexe. Sa mise en œuvre suscite déjà d’importantes réserves, y compris parmi les élus mahorais.

Une loi de programmation pour un territoire en souffrance

Le texte entend répondre à la situation singulière de Mayotte, marquée par la précarité, les tensions migratoires et une fragilité institutionnelle persistante.

Il prévoit notamment un durcissement des conditions d’entrée et de séjour, une obligation d’entrée régulière pour certaines cartes de séjour, une lutte accrue contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, des mesures de rétention adaptées aux familles avec mineurs, et la possibilité de retirer un titre de séjour aux parents « défaillants » dont les enfants représentent une menace pour l’ordre public.

Comme souvent ces dernières années, quand on parle de Mayotte, c’est d’abord sous le prisme de la sécurité et de l’immigration. Sur les 34 articles, 17 sont dédiés à ces deux thématiques. Quant à la technique, le recours à des lois de programmation tend à se démocratiser, sans pour autant que les moyens soient mis sur la table, comme avec les lois de programmation militaire.

Côté social, le texte prévoit une convergence progressive des prestations sociales, une réforme des retraites complémentaires et des investissements dans la santé, l’éducation, le logement et l’aménagement du territoire.

Il propose également la création d’une zone franche globale, l’extension de la politique de la ville à l’ensemble du territoire et un changement institutionnel symbolique avec la reconnaissance de Mayotte comme « Département-Région », sur le même modèle que d’autre territoires ultramarins.

Mais le cœur du projet reste structuré autour des enjeux sécuritaires et migratoires.

Une ambition contestée sur le fond et sur la méthode

Ce texte est accueilli avec prudence, voire scepticisme, par plusieurs élus mahorais.

Le sénateur Saïd Omar Oili a dénoncé publiquement le manque de concertation avec les élus du territoire. « On nous raconte des mensonges, tout se fait sans nous ! », regrette-t-il, pointant un sentiment de mise à l’écart sur un sujet, dans une interview accordée à nos confrères du Journal de Mayotte.

Le Conseil départemental de Mayotte, consulté à titre obligatoire, a aussi émis un avis réservé. Il « regrette l’absence de programmation financière claire à court terme et de déclinaison opérationnelle des mesures annoncées, en particulier sur les infrastructures, la santé et l’éducation ».

Autre critique récurrente : l’absence de chiffrage précis et de calendrier de mise en œuvre pour la plupart des dispositions. Si certains investissements prioritaires sont listés, beaucoup d’autres restent flous, renvoyés à une future stratégie quinquennale (2026–2031) qui n’a pas encore été dévoilée. Cette opacité alimente les doutes sur la capacité de l’État à transformer les annonces en actions concrètes.

Le texte identifie 3,176 milliards d’euros d’investissements prioritaires, mais sans cadrage annuel ni ventilation budgétaire complète. Politiquement, le gouvernement s’engage sur ce financement. Juridiquement, rien n’est verrouillé.

Des mesures à double tranchant

Dans un territoire récemment traumatisé par le cyclone Chido — qui a causé des pertes humaines, détruit une grande partie des logements précaires et aggravé une situation économique déjà fragile — les mesures sécuritaires du texte s’inscrivent dans un climat de tension durable.

À ce jour, on ignore toujours le nombre exact de victimes du cyclone.

Le gouvernement justifie en partie l’urgence du projet de loi par l’ampleur de la catastrophe et la nécessité d’une réponse globale à la désorganisation du territoire.

Mais plusieurs associations, ainsi que des sénateurs de gauche, critiquent l’orientation jugée trop répressive du texte. Oxfam France dénonce une vision « déséquilibrée » qui « s’attaque aux conséquences plus qu’aux causes » du mal-développement mahorais. Les mesures migratoires, notamment, pourraient accentuer les tensions locales si elles ne sont pas accompagnées d’un renforcement effectif des capacités administratives, sociales et éducatives.

Une validation en demi-teinte du Conseil d’État

Saisi pour avis, le Conseil d’État a globalement validé la structure du texte, à condition que les volets programmatiques soient bien distingués des articles normatifs.

Il a toutefois mis en garde contre l’intitulé du projet, estimant que le terme de « refondation » pourrait induire une portée plus large que ce que permet juridiquement une loi de programmation.

Une confiance fragile

Ce projet de loi pourrait devenir un marqueur politique du gouvernement Bayrou, tant les enjeux sont considérables. Il constitue l’un des seuls textes d’envergure annoncés depuis décembre 2024.

Les sénateurs voteront le texte le mardi 27 mai 2025, à partir de 18 h 30.

Quant aux Mahorais, ils n’attendront pas 2031 pour demander des comptes. En 2022, ils avaient majoritairement voté pour Marine Le Pen. En 2024, à la suite de la dissolution, ils ont préféré Anchya Bamana à Mansour Kamardine, pourtant élu de longue date dans la deuxième circonscription.