Plus qu’une étape pour la loi anti-AirBnB
Il faut avoir vécu dans une grotte ces dernières années pour ne pas avoir constaté qu’il y avait un gros problème de logements en France. Qu’il s’agisse de l’accession à la propriété, de l’accès aux logements sociaux ou tout simplement d’une accession à une location, de plus en plus de Français sont confrontés à des difficultés de logements. D’après la Fondation Abbé Pierre, 4.1 millions de personnes sont en situation de mal logement en France.
Demandes irréalistes des bailleurs, absences de construction, prétentions ubuesques de banques, flexibilité imposée aux travailleurs, à tout cela est venu s’ajouter un autre problème : la location saisonnière touristique. Au lieu de louer leurs logements à des travailleurs, en particulier dans les zones touristiques telles que Paris ou la côte Basque, les propriétaires préfèrent mettre leurs logements sur AirBnB. Plus rentables, moins exigeantes et moins taxées, les locations saisonnières touristiques ont littéralement défiguré certaines zones. Le phénomène n’est pas circonscrit à la France : New York, Barcelone, Lisbonne, Majorque et d’autres villes ont commencé à prendre des mesures drastiques pour limiter le phénomène.
Aux États-Unis, des études ont démontré que AirBnB était responsable d’une augmentation de 20 % des loyers. Des chercheurs du Canergie Mellon n’ont pas hésité à parler de cannibalisation du marché. Le magazine Wired a publié un long article sur la ville de Sedona en Arizona où AirBnB a fait de tels ravages dans la population que la ville est en déclin. Les habitants ayant été remplacés par des touristes, il n’y a plus de développement.
En 2023, des députés Renaissance, socialistes et Horizons ont travaillé sur un texte pour encadrer plus fermement les locations touristiques. Côté Renaissance, le combat était porté par Annaïg Le Meur et côté socialiste, par Inaki Echaniz. Tous deux sont issus de territoires qui font face à des pénuries de logements pour les habitants et les travailleurs. Notons également que la première a travaillé sur une mission temporaire sur la fiscalité locative, qui s’est achevée la semaine dernière.
Il avait fallu un peu de temps pour que le texte, adopté à l’Assemblée nationale, change d’arrondissement et arrive au Sénat.
Hier soir, mardi 21 mai 2024, les sénateurs ont adopté le texte. Il ne reste plus que l’étape de la commission mixte paritaire à franchir. Voici ce que propose le texte.
Désormais – quand la loi sera au Journal Officiel – les personnes proposant un meublé de tourisme devront au préalable effectuer une déclaration auprès d’un service d’enregistrement. Ceci ne pourra plus être délégué à une conciergerie ou à une plateforme. Le numéro d’enregistrement sera valable cinq ans. Il pourra être suspendu si le changement d’usage du bien n’a pas été notifié.
Certains bailleurs, ne voulant pas faire de travaux de rénovation énergétique, ont sorti leurs biens de la location « ordinaire » pour les mettre sur les plateformes de location touristique. Ce sera progressivement terminé : le texte prévoit un alignement des normes, qui ne sera pas immédiat.
Dit ainsi, le texte paraît très timide, mais, c’est à partir de l’article 2 – dans la version issue du Sénat – que les choses deviennent amusantes. Avant d’être mis à la location touristique, la nature du bien doit être changée : on passe de location longue à location touristique. Dans l’article 2, on ne parle plus de déclaration, mais bien d’autorisation préalable. Ce sera dans les mains des communes. Si les collectivités territoriales estiment qu’il y a trop de locations touristiques dans leurs communes, elles refuseront les autorisations. Elles peuvent aussi baisser la durée de location à 90 jours par an pour les résidences principales.
Peut-on craindre un risque de locations « au noir » ? Cela paraît assez évident, mais il est probable que les administrations communiquent les données entre elles. À charge pour Bercy de faire le travail de croisement de données, car ce sera bien elle qui aura toutes les cartes en main.
Autre apport du Sénat : le doublement des amendes civiles. De 50 000 €, les sénateurs sont passés à 100 000 €. Enfin, dans les copropriétés, le changement de nature du bien devra faire l’objet d’une autorisation préalable par le syndic. En effet, aujourd’hui, si votre voisin du troisième ou quatrième étage décide mettre son appartement en location sur AirBnB pendant les Jeux Olympiques, parce que vous êtes idéalement situé entre la Porte de la Chapelle et le Stade de France, vous n’avez pas votre mot à dire.
Angle mort du texte : la responsabilité des plateformes. Actuellement, les plateformes sont responsables du contenu publié. En théorie, elles doivent vérifier que les annonces sont légales. Dans les faits, elles ne le font pas. Ainsi, lors d’une recherche sur AirBnB d’une location pour la ville de Calvià (Majorque), les annonces n’étaient pas conformes à la loi espagnole, qui imposent de faire apparaître le numéro d’enregistrement sur les annonces*. Même si le texte prévoit le doublement des amendes civiles, cela reste assez anecdotique.
Notons que les amendements du Sénat ont été adoptés contre l’avis du Gouvernement et qu’il est probable que certaines mesures disparaissent dans la version définitive. Néanmoins, le pouvoir de décision restera dans les mains des maires, d’autant que ce point a fait l’objet d’une véritable concertation avec les élus locaux.
Bien sûr, cela ne signera pas la fin complète d’AirBnB. Mais, ce texte risque de ralentir ses activités en France.
La date de la commission mixte paritaire n’est pas encore connue.
* Le hasard a voulu que pour un autre support en ligne, sans aucun rapport avec Projet Arcadie, l’auteur de ces lignes s’est penchée sur la législation concernant AirBnB aux Baléares, en particulier à Majorque et a volontairement cherché des annonces illicites.