Renforcer le droit à l’avortement : le compte n’y est pas
Il est communément admis que les textes qui concernent les sujets dits de société ont tendance à prendre un temps considérable en France. Cela se vérifie encore avec la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.
Un long chemin
Déposé le 25 août 2020, juste avant les vacances parlementaires, le texte a été inscrit à l’ordre du jour de la commission des affaires sociales pour la rentrée 2020. Le texte est adopté en première lecture le 8 octobre 2020. Le texte est rejeté par le Sénat, par le mécanisme de la motion opposant la question préalable.
Le texte revient donc à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 2 février 2021. Il est adopté par cette même commission le 10 février 2021. Il aura fallu attendre plus de neuf mois pour qu’une place en séance publique puisse être faite, dans l’agenda parlementaire.
Achèvement incertain
Sans surprise, les opposants à la proposition de loi invoquent l’esprit de la loi de 1975, au point de susciter l’ironie du ministre de la Santé. Les différentes voix portant ce texte n’ont pas réussi à les sortir de la posture « IVG = traumatisme », y compris celles qui ont dit avoir avorté.
L’objectif du texte est de faciliter l’accès à l’IVG : rallongement des délais, passant de 12 à 14 semaines, avec possibilité de procéder à une IVG médicamenteuse jusqu’à la septième semaine de grossesse, recours aux sages-femmes pour procéder aux IVG chirurgicales et création d’un répertoire des praticiens pratiquant l’IVG, qui sera à la charge des agences régionales de santé. L’article 2 permettait également de supprimer la double clause de conscience.
Ce qui a été flagrant lors de l’examen du texte est la timidité, voire la frilosité du Gouvernement. Se contentant par moment d’un avis de sagesse, émettant des réserves et séchant carrément la deuxième séance du soir, le ministre de la Santé n’a pris aucun engagement sur ce texte. Remplacé par Adrien Taquet, ce dernier a dû confondre l’hémicycle avec un commissariat, gardant obstinément le silence lorsque les différentes oratrices — lors du vote du texte — ont demandé à ce que le Gouvernement s’engage à ce que le texte soit définitivement adopté avant la fin du quinquennat.
À ce stade, il paraît hautement improbable que le texte revienne devant l’Assemblée nationale avant la fin de la législature. Comme l’indique Steve Jourdin, aucun groupe sénatorial ne souhaite inscrire le texte à son ordre du jour.
Un texte vidé de sa substance
Les défenseurs du texte et plus précisément les défenderesses ont fustigé l’opposition dans sa posture profondément paternaliste. Pour ces derniers, si les femmes ont recours à l’avortement, elles le font par pression : matérielles, familiales, sociales, etc. Ainsi, la député Ménard a insisté sur l’absence d’informations des femmes, quant aux différentes aides et prestations sociales qu’elles sont en droit de recevoir, en cas de grossesse. Curieusement, la notion de projet parental, qui était pourtant l’un des arguments phares lors de l’examen du projet de loi bioéthique des opposants à ce texte, a totalement disparu chez les opposants.
Bien qu’animé et pesant, le débat est resté relativement serein jusqu’à l’article 2. Ce dernier a été examiné en deuxième séance, à partir de 21 h 30. Comme à l’accoutumée, les députés de l’opposition ont proposé des amendements de suppression. À la faveur d’un hémicycle vide — tout comme l’agenda de l’Assemblée nationale ce mardi 30 novembre 2021 — les députés de l’opposition ont réussi à faire voter le maintien de la double clause de conscience opposable aux femmes souhaitant recourir à une interruption volontaire de grossesse, de la part de tous les praticiens : médecins, sages-femmes, pharmaciens.
C’est évident avec amertume que la rapporteure Battistel s’est prononcée sur l’ensemble du texte, évoquant le renoncement concernant la double clause de conscience. Ses collègues ont été plus véhémentes. Tout à tour, Christine Pires-Beaune, Clémentine Autain et Elsa Faucillon ont dénoncé le conservatisme de leur collègue, la dernière parlant même de dégoût.
C’est une victoire à la Pyrrhus pour les auteurs de la proposition de loi. En théorie, le délai légal pour recourir à l’avortement a été allongé de deux semaines, les sages-femmes peuvent la pratiquer, le délai obligatoire de 48 h a été supprimé et les agences régionales de santé devront tenir un répertoire des praticiens pratiquant l’IVG. En pratique, au-delà de la suppression quasi-totalité de l’article 2, rien ne dit que le texte ne finira pas dans une armoire et certains décrets concernant la pratique des sages-femmes sont toujours en attente, alors que le texte les concernant a été voté fin 2020.
Au-delà de ces considérations, le désintérêt pour ne pas dire le mépris envers le Parlement était flagrant. Alors que le texte était examiné un mardi soir — jour traditionnel de séance — et que l’agenda de l’Assemblée nationale ne faisait pas état de séances en commission se tenant au même moment, les amendements qui ont permis la suppression de la quasi-totalité de l’article 2 ont été votés, à main levée, avec une soixantaine de députés. Le scrutin public sur l’ensemble du texte a réuni 123 députés. Sur un autre sujet, la même chose s’était produite en fin de XIVe législature. Le droit des femmes et l’exercice effectif de leurs droits ne passionnent pas plus les foules que le terrorisme, qu’il s’agisse des députés, des ministres ou tout simplement des internautes.
