
Lutte contre le narcotrafic : adoption définitive du texte
Considérées comme une priorité sécuritaire du gouvernement, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, ainsi que la proposition organique fixant le statut du procureur de la République national anticriminalité organisée, ont été définitivement adoptées.
Il s’agit d’un des rares éléments à inscrire au bilan de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin, qui, depuis leur entrée dans le gouvernement de François Bayrou, n’ont quasiment porté aucun texte. Toutefois, rendre hommage au gouvernement serait exagéré : ce texte est d’origine parlementaire, non gouvernementale.
Un vote large malgré les divisions
Les députés ont entamé la lecture définitive après avoir repoussé les deux motions de rejet préalable déposées par La France insoumise.
Le texte a été approuvé par 396 voix contre 68. Seuls La France insoumise, quelques écologistes proches des anciens Insoumis, ainsi que quatre députés communistes, s’y sont opposés. Les socialistes ont voté en faveur, tandis que la majorité des écologistes et des communistes se sont abstenus. Le Sénat avait, pour sa part, validé le texte à l’unanimité lundi.
Fruit d’un compromis entre les deux chambres, la loi suscite un large consensus, malgré des critiques de la gauche dénonçant des atteintes aux libertés publiques et aux droits de la défense. Plusieurs groupes ont d’ores et déjà annoncé leur intention de saisir le Conseil constitutionnel.
Retailleau en homme fort de la lutte contre la drogue
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, s’est félicité pour cette « étape décisive » qui permettra selon lui de lutter « à armes égales » contre les trafiquants. Gérald Darmanin a salué sur X (anciennement Twitter) « un grand pas de franchi ».
Dans l’hémicycle, Retailleau a mis en avant un « texte puissant », voté massivement malgré l’absence de majorité gouvernementale nette. Il a notamment pu compter sur les voix de la droite, mais aussi sur celles de l’extrême-droite, consolidant ainsi son image d’homme fort de la lutte contre le narcotrafic.
Ancien chef de file des sénateurs Les Républicains, Retailleau avait activement contribué à l’élaboration de cette loi, issue des travaux d’une commission d’enquête transpartisane sur le narcotrafic et la criminalité organisée.
Une approche transpartisane pour cibler le narcotrafic
Le succès du texte repose largement sur sa dimension transpartisane. Deux sénateurs issus de camps opposés — Étienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS) — en sont à l’origine.
Ce choix illustre également la stratégie du gouvernement, incarnée par François Bayrou, de laisser l’initiative aux parlementaires afin d’éviter les blocages rencontrés sur d’autres projets sensibles. Cette tactique lui permet aussi d’éluder la nécessité de proposer ses propres projets de loi : en quatre mois, très peu d’initiatives gouvernementales majeures ont été lancées. Même le projet de loi sur Mayotte, largement axé sur la lutte contre l’immigration illégale, n’a été présenté qu’à l’occasion d’un conseil des ministres convoqué un lundi de Pâques.
Un contraste avec d’autres dossiers enlisés
L’adoption de ce texte tranche avec l’enlisement d’autres projets devant l’Assemblée, comme la réforme de l’audiovisuel public, où l’attitude de Rachida Dati en commission des affaires culturelles a alimenté les tensions, ou encore le projet de loi sur la simplification économique, dont l’examen a repris mardi soir.
Deux autres textes sensibles restent en discussion : la proposition de loi de Guillaume Garot, dont l’examen reprendra la semaine prochaine et la proposition de loi sur la fin de vie, actuellement en débat en commission des affaires sociales.
Un enjeu politique pour Retailleau et Darmanin
L’adoption de ce texte constitue un appui politique précieux pour Bruno Retailleau, qui doit faire ses preuves alors qu’il ambitionne de prendre la tête du parti Les Républicains. Quant à Gérald Darmanin, il nourrit des ambitions plus vastes, visant une installation à l’Élysée.
Création d’un parquet national contre la criminalité organisée
Parmi les mesures clés du texte figure la création, en janvier 2026, d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), calqué sur le modèle du parquet national antiterroriste (Pnat). Il sera compétent pour les affaires les plus graves et coordonnera l’action des juridictions locales.
Ce parquet sera adossé à un nouvel état-major interministériel des forces d’enquête, basé à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Dans la même logique, Gérald Darmanin a défendu la création de quartiers de haute sécurité dans les prisons pour les trafiquants les plus dangereux. Le premier établissement de ce type doit ouvrir fin juillet à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), inspiré des modèles antimafias italiens.
La loi prévoit aussi la création de « dossiers-coffres » afin de protéger certaines techniques d’enquête du regard des trafiquants et de leurs avocats, ainsi que des mesures renforcées contre le blanchiment d’argent et des procédures simplifiées pour les enquêteurs.
Une contestation portée par la gauche
Ces dispositifs ont suscité l’opposition des députés de La France insoumise, qui dénoncent une approche « uniquement répressive ». « Vous ne réglerez rien avec cette loi », a lancé Antoine Léaument, prônant un renforcement de la police judiciaire, de la justice, un changement des logiciels informatiques ainsi que la prévention et la légalisation du cannabis.
Les groupes LFI, PS et écologiste ont annoncé leur intention de saisir le Conseil constitutionnel. Dans un communiqué, le Parti socialiste a salué une « première étape » importante, tout en critiquant fermement le projet de quartiers de haute sécurité.
Dernière étape : les décrets d’application
Après la validation du Conseil constitutionnel, restera l’épreuve de la publication des décrets d’application. Une question demeure : les ministères seront-ils plus diligents que pour la loi d’urgence sur Mayotte ?