Projet de loi immigration : quelle est la suite ?
On ne s’y attendait pas du tout. À chaque texte présenté devant l’Assemblée nationale, sa motion de rejet préalable. Mais, aujourd’hui, lundi 11 décembre 2023, tout a changé
Adoption de la motion de rejet préalable
Plusieurs motions de rejet préalable du texte avaient été déposées. Un tirage au sort a été effectué pour n’en garder qu’une seule, comme le prévoit le Règlement de l’Assemblée nationale. C’est la motion de rejet préalable des écologistes qui a été tirée au sort et examinée.
En temps normal, la discussion générale et les motions de procédure ne passionnent ni les foules ni les députés. Aujourd’hui, non seulement la presse et les visiteurs étaient venus en nombre, mais aussi les députés. On le voyait assez bien à la caméra : l’hémicycle était plein comme un œuf, laissant présager un scrutin serré.
D’après le relevé du scrutin, ils étaient 548, ce qui est beaucoup. 270 députés ont voté pour le rejet du texte, contre 265. C’est inédit. Les motions de rejet préalable sont rarement adoptées et quand elles le sont, c’est pour des propositions de loi durant les niches parlementaires. Ce n’est jamais arrivé sous la XVe législature ni sous la XIVe qu’un projet de loi — donc un texte gouvernemental — soit rejeté d’entrée de jeu par les députés.
Le destin politique de Darmanin
On aurait tort d’assimiler cette motion de rejet préalable à une motion de censure, ce n’est pas le cas. La motion de censure touche tout le Gouvernement, en tant que personne si on peut dire les choses. La Première ministre est dans l’obligation de donner la démission de son gouvernement, à charge pour le président de la République de l’accepter ou non.
La motion de rejet préalable vise le texte et uniquement le texte. Le message envoyé par les députés consiste à dire « ce texte ne nous convient pas, nous refusons de l’examiner et d’en débattre ». Légalement, Gérald Darmanin peut parfaitement rester ministre de l’Intérieur.
Gérald Darmanin a présenté sa démission au président de la République. Qui l’a refusé. Qui dit démission, dit remaniement et qui mettre à sa place ? Le seul point réellement important, dans une motion de rejet préalable, est le destin du projet de loi sur l’immigration.
Virage très à droite
Là encore, à ce stade, on ne sait pas ce qu’il va advenir du texte. Est-ce qu’il retourne au Sénat ou est-ce qu’il y va y avoir convocation de la commission mixte paritaire ? Dans les deux cas de figure, il y aura un gros virage à droite. En effet, lors de la première lecture au Sénat, les sénateurs avaient supprimé l’aide médicale d’État, entre autres choses.
Or, le Sénat est majoritairement à droite. Quant à la commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept sénateurs, elle sera aussi majoritairement à droite. La gauche, en votant la motion de rejet préalable, vient de faire un cadeau à la droite et à l’extrême-droite, au détriment des personnes visées par ce texte, à savoir les travailleurs sans-papiers.
Bien entendu, il reste l’option apaisée : acter l’absence de consensus et retirer le texte. Le ministre de l’Intérieur acceptera-t-il de faire ce pas de côté, lui qui a vendu son texte, comme un vendeur d’électroménagers essaie de vendre à tout prix des assurances inutiles ?
En admettant que le Gouvernement choisisse la première ou la deuxième option, le texte devra nécessairement revenir devant l’Assemblée nationale. Certains murmurent l’hypothèse de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3. Sauf que le Gouvernement est suspendu à une décision du Conseil constitutionnel sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. En effet, en théorie, on n’a pas de limite d’utilisation de l’article 49 alinéa 3 sur les textes budgétaires. La question qui est en cours d’examen par le Conseil constitutionnel est de savoir si la loi de programmation des finances publiques est bien un texte budgétaire. Si le Conseil constitutionnel le nie, cela signifie que le Gouvernement n’a plus de « cartouche » pour cette session. Dans le cas contraire, le Gouvernement peut utiliser sa seule cartouche par session sur le projet de loi immigration.
Dès lors, la question sera de savoir si la Première ministre veut le faire. Et si elle le fait, est-ce que les députés iront au bout de leur logique, en déposant et en adoptant une motion de censure pour faire tomber le Gouvernement ? Gérald Darmanin vaut-il un remaniement et une probable dissolution de l’Assemblée nationale ?
Quant aux travailleurs sans-papiers qui auraient pu voir leur situation s’améliorer au moins en pointillés, ils sont les grands oubliés de cette bataille d’ego. Mais, comme ils ne votent pas, cela ne compte évidemment pas.