Projet de loi pour le plein emploi : un texte cache-misère
Tandis que les députés se chamaillent avec le Garde des Sceaux sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 et le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, les sénateurs vont commencer l’examen du fameux projet de loi pour le plein emploi.
Pour atteindre le plein emploi, le Gouvernement semble avoir trouvé la martingale : inscrire tous les allocataires du RSA ainsi que leurs conjoints, sur la liste des demandeurs d’emploi et transformer Pôle Emploi, en France Travail.
Techniquement, le RSA (revenu de solidarité active) est une aide sociale, destinée aux personnes sans ressources. Il se distingue de l’allocation retour à l’emploi (ARE) par son financement. Le RSA est financé par l’État, mais surtout par les départements. L’ARE est financée par les travailleurs eux-mêmes, sur leurs salaires ou leurs revenus (pour les indépendants). Si le RSA peut être « familiarisé » — on va prendre en compte la situation familiale pour évaluer le montant du revenu de solidarité – ce n’est pas le cas de l’ARE.
Quelle mouche a piqué le Gouvernement pour inscrire les conjoints des allocataires du RSA, comme demandeurs d’emploi ? Personne ne semble le savoir et l’on ne comprend pas ce que viennent faire les conjoints des allocataires du RSA dans ce texte. Les sénateurs eux-mêmes ne paraissent pas avoir compris l’objectif poursuivi, puisque plusieurs amendements de suppression seront défendus en séance publique, y compris par les centristes.
Il n’y avait pas vraiment de doute sur le sujet : la plupart des amendements viennent de la gauche de l’hémicycle, qui ne digère pas ce texte. Quant à la droite, elle paraît avoir déjà pris ses quartiers d’été. Signe que le texte ne passera pas sans une âpre bataille au Palais du Luxembourg : 625 amendements ont été déposés sur ce texte, 498 seront examinés. Les 127 restants ont vraisemblablement été jugés irrecevables. On note également deux motions de procédure pour rejeter d’entrée de jeu le texte. L’une vient du groupe communiste et l’autre du groupe écologiste.
L’un des autres aspects qui fera débat est le changement de dénomination de Pôle Emploi en France Travail. Plusieurs sénateurs relèvent que cela sera un gaspillage d’argent : il faudra changer les entêtes, les enseignes, les noms de domaine, bref, tout ce qui fait l’identité et la marque de Pôle Emploi. Le coût ne paraît pas être chiffré et même la droite s’en est émue, en la personne de Catherine Proccaccia « A-t-on mesuré le coût, ne serait-ce que du changement des enseignes de plus de 800 agences ou encore des papiers à en-tête ? J’ai été rapporteur de la loi à l’origine de Pôle emploi. Non seulement ce changement de nom a été très coûteux, mais il a pris deux ou trois ans et les gens n’y comprenaient plus rien ! ».
C’est tout le sel de ce texte : rien n’est chiffré. Il est question d’alourdir les obligations pesant sur les allocataires du RSA, de leur fournir un accompagnement individualisé afin de mieux répondre à leur profil mais, de recrutement de personnels supplémentaires, il n’en est pas question dans le texte. De l’aveu même de la rapporteure Pascale Gruny, ce n’est pas une véritable loi travail. Or, l’un des points qui revient souvent concernant Pôle Emploi est la surcharge de dossiers par agent.
On ne manque pas non plus de s’interroger sur le calendrier. Il arrive aujourd’hui en séance publique au Sénat. Va-t-il subir le même sort que le texte sur la régulation du numérique – c’est-à-dire – dormir dans un coin de l’Assemblée nationale jusqu’en octobre ? En effet, en théorie, les travaux de l’Assemblée nationale s’arrêtent le 20 juillet 2023. Aura-t-on changé de ministre d’ici là ? Ainsi que le rapportent Chez Pol et Politico, le remaniement ministériel semble être de nouveau à l’ordre du jour. Prendre le risque de faire prendre la poussière dans un coin est aussi prendre le risque de laisser les opposants à ce texte, se reposer et repartir de plus belle en octobre. Stratégiquement, si le Gouvernement veut faire passer ce texte, il a tout intérêt à prolonger la session ordinaire durant les mois d’été. À l’automne, surtout pendant le projet de loi de finances, les oppositions auront repris des forces et si l’on se fie à l’étude d’impact, il paraît assez évident que les syndicats ne sont pas ravis du projet de loi.
Les débats commencent cet après-midi à partir de 16 h.
Mise à jour du mercredi 12 juillet 2023 à 19 h.
Après deux jours de séance publique, les sénateurs ont adopté le projet de loi plein emploi. Outre l’inscription de l’ensemble des personnes dans France Travail (allocataires du RSA, leurs conjoints, les demandeurs d’emploi, les allocataires de l’AAH, les jeunes de moins de 25 ans non-allocataires du RSA); le texte acte la fusion au sein d’une seule entité — France Travail — l’ensemble des organisations qui accompagnent les personnes en recherche d’emploi. L’idée du ministre du Travail est de former un réseau d’organismes. Une partie des missions pourra être déléguée à des structures privées, à but lucratives, sans que les contours apparaissent très clairement.
On note également que sous l’impulsion des sénateurs, les allocataires du RSA devront effectuer 15 h d’activités par semaine. Ces heures pourraient être dédiées à des ateliers, des formations, du suivi social, etc. Là encore, on ne parvient pas à distinguer clairement de quoi il s’agira. Les allocataires du RSA devront signer un contrat d’engagement et s’il n’est pas respecté, le RSA sera supprimé.
Mais, un point a suscité un certain émoi du côté de la droite sénatoriale : l’article 10 et la gouvernance de l’accueil des jeunes enfants. Conscient que la garde des jeunes enfants est une difficulté pour les parents — en particulier les mères — le ministre fait des communes l’autorité organisatrice dans l’accueil des jeunes enfants. En langage clair : à charge pour les maires de créer des structures pour accueillir les enfants. Dans sa rédaction initiale, cela devenait de fait un droit opposable pour les administrés. Mais, les sénateurs ont supprimé ce presque droit opposable. De là à penser que certains sénateurs, qui remettent leur mandat en jeu dans quelques semaines, ont voulu ménager la susceptibilité de leurs électeurs, il n’y a qu’un pas.
La version définitive du Sénat n’est pas encore disponible. Ce matin, la commission des affaires sociales a procédé à la nomination des rapporteurs sur ce texte : Marc Ferracci et Paul Christophe, dont nous aurons l’occasion de parler très prochainement.
Sur le plan du calendrier, on ne comprend pas la stratégie du Gouvernement. En effet, la présidente de la commission des affaires sociales a annoncé que l’Assemblée nationale plancherait sur ce texte en septembre. Or, il aurait été plus malin d’évacuer le sujet dès cet été, en jouant sur la fatigue des parlementaires et celles des syndicats, qui ont mené un front uni contre la réforme des retraites. Ces derniers ont d’ailleurs fait part de leur opposition au texte sur le plein emploi. Examiner le texte à la rentrée parlementaire va laisser le temps à l’opposition et aux syndicats de préparer leurs armes. Si l’on n’a pas vraiment d’interrogations sur la position des groupes de gauche, les regards vont se tourner vers la droite et l’extrême droite de l’hémicycle. Les Républicains ne vont pas avoir d’oppositions sur les 15 h d’activité mais, quelle sera leur position sur les nouvelles charges pesant sur les collectivités territoriales ? Quelle sera aussi la position du Rassemblement national, lui qui déplore systématiquement l’absence de politique familiale ? Enfin, le projet de loi n’étant pas budgété, on s’attend à ce que les gardiens du temple financier de l’Assemblée nationale posent quelques questions. En premier : combien va coûter la transformation de Pôle Emploi en France Travail et combien va coûter l’accueil des jeunes enfants pour les collectivités territoriales.
Dossier à suivre donc.