Les sages de la rue Montpensier ont rendu leur décision sur la loi immigration
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Que reste-t-il de la loi immigration ?

La date était connue, mais pas l’heure. Aujourd’hui, jeudi 25 janvier 2024, à 16 h 30, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision — et non un avis comme on a pu lire ou l’entendre — sur la loi immigration. Un avis, on peut passer outre. On ne passe pas outre une décision. 

Ce préalable était indispensable avant que loi ne devienne effective. Tant que le Conseil constitutionnel ne s’était pas prononcé, le texte restait dans un entre-deux. Le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier qu’une loi est en conformité avec ce que l’on appelle le bloc de constitutionnalité

Le bloc de constitutionnalité est composé de la Constitution de 1958, du Préambule de la Constitution de 1946, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la Charte de l’Environnement de 2004. 

Contrairement à ce qu’on serait tenté de croire, le Conseil constitutionnel n’est pas un juge politique : son travail se « résume » à dire si une disposition est conforme au bloc de constitutionnalité. Par ailleurs, même si les personnalités qui y siègent sont d’anciens politiques, ils sont accompagnés par d’éminents juristes.

Mais, ils ne prennent pas une position en fonction de l’opinion publique, des sondages, des commentateurs ou d’un parti politique. La seule boussole reste le droit constitutionnel. 

Il peut paraître infantilisant de le rappeler. Pourtant, depuis que la décision du Conseil constitutionnel a été rendue, bon nombre de parlementaires LR et RN font part de leur amertume envers cette institution. Voici la réaction du président des Républicains :

Ciotti CC

On peut aussi noter celle de Bruno Retailleau, chef du groupe LR au Sénat : 

Retailleau CC

Ou encore celle d’Olivier Marleix, président du groupe LR à l’Assemblée nationale :

Marleix loi immigration CC

Du côté du Rassemblement National, le verbe n’est pas plus apaisé. En atteste le tweet de Jordan Bardella : 

Bardella CC

Marine Le Pen s’est contentée d’un communiqué de presse sur le site du Rassemblement National, réaffirmant sa volonté d’une réforme constitutionnelle. 

CP RN loi immigration CC

Une chose est certaine : ceux qui se revendiquent héritiers du Général de Gaulle ont manifestement oublié que le Conseil constitutionnel était une création originale de la Vᵉ République. 

Que reste-t-il du texte à proprement parler ? 

Le Gouvernement devra remettre un rapport au Parlement. Un étranger pourra se voir refuser la délivrance ou le renouvellement d’une carte de séjour s’il n’a pas quitté le territoire quand cela lui a été demandé. Il en sera de même s’il a commis certains actes graves. 

L’expérimentation de l’article 14 est soumise à des réserves d’interprétation. Ici, cela signifie que le Conseil constitutionnel demande à l’autorité administrative d’informer correctement le demandeur. 

La majoration de l’amende pour un « mariage blanc » ou la reconnaissance d’un enfant uniquement pour obtenir un titre de séjour est toujours dans le texte et passe de 15 000 € à 75 000 € d’amende. La peine de prison — cinq ans — reste inchangée. 

Tout ce qui concerne l’intégration, notamment l’apprentissage et la maîtrise des valeurs de la République et de la langue française, est inchangé. Concernant les travailleurs en situation irrégulière, il y a un léger desserrement puisque le délit de séjour irrégulier a été supprimé et ne peut donc plus faire obstacle à la régularisation par le travail. Néanmoins, l’article qui interdit aux étrangers de créer une microentreprise reste dans la loi. De la même manière, les conditions restrictives du passeport talent et talent porteur de projet n’ont pas fait l’objet d’une censure de la part du Conseil constitutionnel. Créer une entreprise pour un étranger en France devient de facto plus difficile et la seule intégration par le travail qui est « acceptée » est le travail salarié. 

Les dispositions relatives au mariage et à la saisine du procureur de la République ont aussi survécu à l’examen du Conseil constitutionnel. Vous pouvez retrouver l’analyse du texte dans cet article.

Le ministre de l’Intérieur s’est félicité pour la décision du Conseil constitutionnel, indiquant qu’il s’agissait d’une victoire. Curieusement, il a oublié que l’ensemble des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel ont été adoptées avec son assentiment. Lors de l’examen du texte au Sénat, il ne s’est pas opposé aux mesures introduites par la droite sénatoriale.

Tout comme la majorité n’a pas supprimé les éléments en question en commission des lois. Comme on s’en souvient, il n’y a pas eu d’examen en séance publique.

La gauche ne peut pas non plus revendiquer une quelconque victoire politique ou idéologique : il y a bien un durcissement des règles concernant l’asile et l’immigration, même si les dispositions sociales, notamment relatives aux prestations sociales, ont été supprimées.

Il est probable que les mesures censurées fassent leur réapparition. Comme l’indiquent nos confrères de Public Sénat, Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste au Sénat, joue la carte de l’apaisement en indiquant que les mesures censurées seront présentées dans un texte ad hoc. 

Car, il ne faut pas occulter ce point : la majorité des dispositions censurées l’ont été en vertu de l’article 45 de la Constitution, plus connu sous le nom de cavalier législatif. Un cavalier législatif est une mesure introduite dans la loi, sans lien avec le texte en question. Pour faire une analogie culinaire, cela revient à donner la recette du clafoutis alors qu’on attend celle sur le bœuf bourguignon. Il n’y a que l’article 38 du texte, prévoyant la prise d’empreinte sans consentement, qui a été censuré pour un motif de fond, à savoir une violation des droits fondamentaux. 

Si on devait résumer de façon très lapidaire, on pourrait dire que le Conseil constitutionnel s’est contenté de dire que les parlementaires de droite, à la manœuvre sur ce texte, ont été de mauvais législateurs. Dès lors, il est amusant de lire et d’entendre des élus demander une réforme de la Constitution, tout simplement parce qu’ils ne savent pas écrire.   

Le président de la République a fait savoir qu’il souhaitait que la loi soit rapidement appliquée. Il est donc vraisemblable qu’elle soit promulguée dans le Journal officiel d’ici à la fin de la semaine.