Quels sont les députés qui ont eu le plus de collaborateurs sur cette première années de mandat ?
Actualités

Qui sont les plus gros consommateurs de collaborateurs à l’Assemblée nationale ?

Il y a environ deux semaines, plusieurs articles traitant de Sophia Chikirou ont été publiés chez nos confrères. Parmi les points soulevés, il a été dit que Sophia Chikirou avait eu dix collaborateurs parlementaires depuis le début de la XVIe législature. Est-ce beaucoup ? Est-ce révélateur de quelque chose ? On se penche sur le sujet.

L’Assemblée nationale, un environnement professionnel toxique

L’Assemblée nationale est un environnement de travail que l’on peut définir comme toxique par essence. Le milieu politique français n’est pas sain. Horaires délirants, agendas surchargés, sollicitations de toutes parts, le Parlement maltraite les élus et par effet de bord, maltraitent les collaborateurs parlementaires.

Rappelons ici que contrairement à d’autres Parlements nationaux, le contrat de travail des collaborateurs les lie à un député et non à l’institution. Ils ne sont pas titulaires de la fonction publique, sont choisis et rémunérés par les députés, grâce à une enveloppe dédiée. En théorie, le droit du travail s’applique, notamment en ce qui concerne le harcèlement. Dans la pratique, les collaborateurs sont souvent seuls. Le déontologue de l’Assemblée nationale n’est pas d’une grande aide. Les syndicats servent plus de soutien moral qu’autre chose. Seule solution pour fuir une situation toxique : partir ou entamer une procédure devant les prud’hommes. 

On parlait déjà de harcèlement sous la XVe législature, tant les changements de collaborateurs étaient fréquents. Chaque premier du mois pouvait donner lieu à plus d’une cinquantaine de changements chez les députés. Sous la XVIe législature, les choses ont l’air plus calmes. Néanmoins, en croisant certaines données, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de turn-over chez certains députés.  

Des chiffres et des questions

À la première place, à égalité, on retrouve Jean-Marc Zulesi et Sacha Houlié, qui ont eu depuis le début de la XVIe législature, 13 collaborateurs parlementaires différents. Viennent ensuite Emmanuel Blairy, Stéphane Viry et Victor Catteau. Notons que Stéphane Viry est celui qui a le plus de collaborateurs de façon simultanée. Actuellement, il détient le record de huit collaborateurs. On ne s’explique pas ce besoin d’une équipe aussi pléthorique (pour l’Assemblée nationale) : Stéphane Viry n’occupe aucun poste à responsabilité, contrairement à Jean-Marc Zulesi, Sacha Houlié ou encore Sébastien Chenu.

Les effectifs par député au 16 octobre 2023
Les effectifs par député au 16 octobre 2023

On constate qu’au 16 octobre 2023, la plupart des députés ont entre 3 et 4 collaborateurs. 

La troisième place du podium est partagée par huit députés : Belkhir Belhaddad, Christelle D’Intorni, José Beaurain, Laurence Heydel Grillere, Olga Givernet, Pascale Boyer, Sébastien Chenu et Sophia Chikirou. Ces huit députés ont chacun eu dix collaborateurs depuis le début de la XVIe législature. 

En moyenne, sur cette législature, du 18 juillet 2022 au 26 septembre 2023, les députés ont eu entre 4 et 5 collaborateurs. Certains en ont moins ou ont des collaborateurs qui sont à temps partiel, ce qui explique la différence de chiffres avec le graphique précédent. 

La durée des contrats : l’autre signal faible 

Ce qui fait dire que l’Assemblée nationale est un environnement de travail toxique est la durée des contrats. En effet, en moyenne, il apparaît que les collaborateurs restent environ 300 jours. La donnée est à pondérer avec la date d’arrivée des collaborateurs : certains ont signé leurs contrats au mois de septembre 2022 ou plus tard. Mais, bien que lacunaires, les dates sont parfois plus parlantes que le nombre brut de collaborateurs. 

En effet, Pascale Boyer et Sacha Houlié ont tous deux eu huit collaborateurs qui sont restés moins de 300 jours. Emmanuel Blairy, Jean-Marc Zulesi et Olga Givernet en ont eu sept qui sont restés moins de 300 jours. Alexandre Portier, Belkhir Belhaddad et Brigitte Liso en ont eu six qui sont restés moins de 300 jours.

Les députés dont les collaborateurs sont majoritaires restés moins de 300 jours
Les députés dont les collaborateurs sont majoritaires restés moins de 300 jours

Un nombre de collaborateurs supérieur à la moyenne, sur des durées globales inférieures à la moyenne, est-ce dire que les députés dont les noms ressortent à la faveur d’un croisement de données, sont problématiques ? Là encore, ce n’est pas systématique. 

Changement de voies

Jean-Marc Zulesi s’explique sans difficulté sur le nombre de collaborateurs et sur la durée des contrats. Deux collaborateurs étaient en CDD pour apporter une aide au président de la commission du développement durable. L’une d’entre elles est partie en congé maternité et a souhaité mettre fin à son contrat à l’issue de ce congé. Une autre a été débauchée par un ministre. Enfin, deux autres ont souhaité voguer vers d’autres cieux, dont un collaborateur qui était déjà présent sous la XVe législature. 

Toute aussi transparente, Christelle d’Intorni fournit une autre explication. Nouvellement élue député en 2022, elle a d’abord engagé comme collaborateurs, des bénévoles de sa campagne électorale. Or, ces derniers ont eu d’autres engagements professionnels, engagements qui correspondaient plus à leurs études et à leur choix de carrière. C’est une pratique assez fréquente que d’embaucher comme collaborateur parlementaire, les personnes qui ont œuvré durant l’élection. Mais, ce n’est pas du tout la même fonction.

Conséquence : la député du sud a mis un certain temps à stabiliser son équipe. Elle relève également que rien ne l’avait réellement préparé à gérer une équipe. C’est d’autant plus vrai que les députés font leur rentrée au Palais Bourbon à peine quelques jours après leur élection. Beaucoup n’ont jamais dirigé d’équipe avant d’être élus et beaucoup sont surpris par le rythme stupide de l’Assemblée nationale. 

Des témoignages et des rumeurs

Mais, on ne peut pas dire que la surprise ait été grande en retrouvant le nom de Pascale Boyer dans les données. En effet, déjà considérée comme maltraitante sous la XVe législature, elle ne s’est pas améliorée sous la XVIe. Une personne, faisant anciennement partie de son équipe témoigne : « elle a été mise au placard par son groupe, à la fois pour son mauvais comportement et parce qu’elle n’a jamais trouvé sa place dans son mandat. Donc, elle s’est vengée sur ses collaborateurs ». Cette personne n’est pas restée longtemps « je perdais intellectuellement tous les jours en bossant avec elle et j’ai vu les signaux arriver très vite ». Elle est partie sans trop de dégâts, mais avec un arrière-goût assez amer « par ricochet, ça donne une mauvaise image, les députés passent pour des dingues, car, dans le “monde normal”, ces comportements ne passeraient pas »

Sollicitée, la député fait état de trois démissions, d’une rupture de contrat pendant la période d’essai et de deux ruptures conventionnelles pour cette seule période allant de juillet 2022 à septembre 2023. Mais, elle n’explique pas les raisons d’une si grande instabilité. Durant la XVe législature, le Projet Arcadie avait comptabilisé un total de 28 collaborateurs parlementaires. Le record était de 29.

Sacha Houlié, Emmanuel Blairy, Stéphane Viry, Victor Catteau, Belkhir Belhaddad, José Beaurain, Laurence Heydel Grillere, Olga Givernet et Sophia Chikirou n’ont pas répondu aux questions posées. Dans une enquête, nos confrères de Mediapart ont fait état d’un comportement peu professionnel, voire maltraitant de Sophia Chikirou envers ses collaborateurs au sein de la web-TV le Média. En est-il de même à l’Assemblée nationale ? 

Des députés rapportent des rumeurs très négatives la concernant, mais rien de concret. Quant aux principaux concernés — à savoir les collaborateurs parlementaires — ils ne font état d’aucun mauvais comportement. La député serait exigeante, mais elle ne serait ni maltraitante ni injurieuse. À ce jour, il n’y a aucun témoignage direct ou indirect ou preuve matérielle qui accréditerait la rumeur d’une Sophia Chikirou maltraitante envers ses collaborateurs parlementaires. 

Une assemblée sous pression

Un autre phénomène vient aggraver la fragilité des collaborateurs parlementaires. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’un premier véritable emploi en CDI. Difficile parfois pour eux de savoir ce qui relève ou non de la norme professionnelle et difficile de briser l’omerta, qui peuvent entourer certains députés. Cela est encore plus vrai quand les collaborateurs étaient ou sont surtout des militants. Dénoncer un mauvais comportement, c’est prendre le risque de perdre son emploi, mais aussi sa place au sein du parti.

Reste la question de la prévention : les députés ne reçoivent pas réellement de formation sur la façon dont on doit se comporter quand on devient de fait un chef d’entreprise ou d’équipe. Les conditions de travail ne sont pas optimales. Le rythme de travail est aux antipodes de ce qui se pratique dans une entreprise saine. 

Dans son dernier rapport, le déontologue de l’Assemblée nationale a indiqué que 8 personnes avaient contacté la cellule anti-harcèlement entre le 1ᵉʳ juillet 2022 et le 31 décembre 2022. Sept sont des collaborateurs de députés.


Complément du mardi 17 octobre 2023 à 16 h 55 :

Alors que les députés ont prévenu très en amont, c’est seulement après la parution de l’article que Victor Catteau a adressé des explications. Nous retranscrivons telle quelle sa réponse : 

« Concernant Monsieur Yanis Gaudillat, il s’agissait d’une « job étudiant » pour remplacer un collaborateur en congé.

Concernant Monsieur Achille Bisiaux, il s’agissait d’un collaborateur ayant reçu une proposition pour rejoindre le groupe comme « conseiller de groupe pour la commission affaires sociales »

Concernant Madame Leslie Dehaese, il s’agit de Madame Leslie Dervaux qui a pris son nom marital. »