Marcangeli, poursuivi par un huissier, en séance publique le 14 mars 2024
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« Réfléchissez avec votre cerveau, ça changera ! » séance volcanique sur le cumul des mandats

Quelle meilleure occasion qu’une niche parlementaire, que personne ou presque ne suit, un jeudi soir, jour où la majorité des députés sont ailleurs, pour rétablir, et pour une fois, le terme n’est pas galvaudé, en catimini le cumul des mandats ?

Sous le vocable « renforcer l’ancrage territorial des parlementaires », les députés du groupe Horizons ont déposé une proposition de loi organique qui vise à détricoter l’interdiction du cumul des mandats. Objectif : restaurer le cumul adjoint au maire-député, adjoint au maire-sénateur, vice-président de conseil départemental ou régional, d’établissements publics de coopération intercommunale ou de syndicat mixte. 

Aujourd’hui, un parlementaire — député ou sénateur — peut cumuler avec la fonction de conseiller municipal, départemental ou régional. Beaucoup ne s’en privent pas. Sur 577 députés, 308 sont en situation de cumul et sur 347 sénateurs, ils sont 246 à cumuler.

Mais, il ne peut pas être adjoint et encore moins « tête » de collectivité territoriale. 

On pensait que ce sujet était mort et enterré. 

Pourtant, sous l’impulsion du groupe Horizons et en particulier d’Henri Alfandari, il est revenu dans le débat.

Initialement examiné en commission, le texte avait été rejeté. La discussion générale était relativement apaisée. Pour une raison inconnue, les choses se sont tendues.

Ainsi, quand l’auteur du texte et rapporteur du texte a pris le micro pour répondre à la discussion générale, on a senti un flottement. On pense en particulier quand il a dit que les représentants de la Nation n’avaient pas à dialoguer avec les associations. C’est assez cocasse, surtout quand on sait à quel point les députés sollicitent les organisations non gouvernementales. Il a poursuivi en disant « Si nos concitoyens ne s’intéressent pas à la politique, c’est peut-être parce qu’on n’est pas très intéressant ».

Sans que l’on comprenne réellement pourquoi, Laurent Marcangeli a pris la parole et s’est permis deux sorties qui ont interloqué les orateurs et les spectateurs. En premier, en s’adressant aux députés sur la gauche de l’hémicycle, il a dit « Ça me donne quelque chose [NDLR, le fait d’avoir eu un mandat local] de plus que vous qui gueulez tout le temps ». Enfonçant le clou, il a conclu par « Réfléchissez avec votre cerveau, ça changera ». 

Sans surprise, le député Gérard Leseul a procédé à un rappel au règlement. Une suspension de séance a été demandée et chacun a pu voir Laurent Marcangeli dévaler les travées et se diriger vers Gérard Leseul, coursé par un huissier. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ils n’en sont pas venus aux mains, mais ont eu un échange viril, qui s’est achevé par des excuses mutuelles. 

La gauche est plutôt opposée à un retour sur ce sujet, comme l’indique Charles Fournier « Vouloir faire revenir le cumul des fonctions exécutives et de parlementaires au détour d’une niche est un vrai recul. Nous nous y sommes opposés de toutes nos forces. Ce n’est pas ce qu’attendent les Français, personne ne s’est fait élire avec cette proposition sur sa profession de foi. Ce n’est pas non plus ce qu’attendent les élus locaux, qui préféraient que l’on revienne sur leur statut, sur les préoccupations des maires ruraux, etc. On est loin du projet initial de la Macronie, qui tous les jours s’effacent devant les vieilles postures d’alliances avec la droite et le RN. Le Gouvernement a rendu cela possible et n’est pas opposé à ce texte ». En effet, la ministre aux bancs a rendu des avis de sagesse dans l’ensemble, comme cela est généralement l’usage lors des niches parlementaires, même si ce n’est pas une règle gravée dans le marbre. Charles Fournier poursuit « Seules quelques voix de Renaissance et surtout du MoDem se sont exprimés clairement contre. L’argument de l’ancrage territorial est décidément fumeux quand ces députés, favorables au cumul, poussent une proposition de loi largement rejetée par les Françaises et les Français. Un vrai problème d’ancrage finalement ».

Les amendements de suppression ont été rejetés, mais ont donné lieu à des échanges assez vifs. Les uns après les autres, les amendements sont tombés, soit par rejet des députés, soit pour absence de défense, quand la présidente de séance ne s’emmêlait pas les pinceaux. 

Les séances présidées par Hélène Laporte sont toujours scrutées avec inquiétude de la part des habitués du Palais Bourbon. Elle n’est pas au niveau et se laisse encore et toujours déborder par les députés, au point d’inventer le règlement de l’Assemblée nationale. Ainsi, elle a refusé un rappel au règlement d’un député puis a menacé à plusieurs reprises Matthias Tavel d’un « rappel au règlement avec inscription au procès-verbal » (sic !). Mme Laporte fait quelque chose quand elle est au perchoir, mais, personne n’irait jusqu’à dire qu’elle préside. 

La séance s’est à ce point enlisée qu’une estimation, en début de séance, donnait la fin de l’examen aux alentours de 23 h et qu’à 23 h 43, il restait 50 amendements à examiner, sans compter le vote final du texte. L’article premier a été adopté avec 64 voix pour à 23 h 46. 

Les députés ont plus d’un tour dans leur sac. Après les rappels au règlement et les demandes de suspension, ils ont demandé des scrutins publics, scrutins annoncés entre deux soupirs exaspérés de la présidente. 

Pourquoi ? Si la gauche de l’hémicycle est montée au créneau, il est probable que c’est en raison de l’absence notable d’une partie de la majorité présidentielle. En effet, si Emmanuel Macron s’est prononcé contre le cumul des mandats, il semblerait que certains députés de sa majorité souhaitent revenir sur cette loi.

Comment faire pour ne pas crisper sa majorité, à quelques semaines des élections européennes et surtout, en majorité relative ? D’autant que François Bayrou n’a pas eu de mots assez durs contre la loi limitant les mandats. Au MoDem pourtant, tous les députés ne sont pas favorables à une restauration du cumul des mandats, notamment Erwan Balanant et Louise Morel.

La politique n’est jamais très loin et si les députés du groupe Renaissance n’y trouvent plus leurs comptes, ils pourraient être tentés par d’autres bords politiques. Quand l’équation est majorité relative et absence de perspective politique d’ici à 2027, cela donne des députés qui retrouvent une liberté totale. 

Alliés objectifs sur ce texte : la droite et l’extrême-droite, qui ne rêvent que de reconquérir les baronnies qu’ils ont perdues.  

Finalement, c’est Sylvain Maillard qui a sifflé la fin de la récréation en disant ouvertement qu’il y avait un sujet sur la représentation des parlementaires, sur le pouvoir des législateurs, sur le poids des députés. En cela, il est rejoint par Alexis Corbière, qui a plaidé pour un renforcement des députés. 

C’est également la position de Jean-Charles Larsonneur « réduire la question du lien des députés au territoire au cumul des mandats est trop sommaire. Naguère, on adressait aux députés maires les mêmes procès en déconnexion. Le plus important, c’est de renforcer le poids du Parlement par rapport à l’exécutif. Cela suppose des moyens juridiques, matériels et humains ». 

Autre soutien de poids sur le non-cumul des mandats : la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui considère que ce serait une erreur de revenir dessus. 

La séance s’est achevée à minuit, sans que le texte soit voté. Mais, il reviendra en séance publique. Reste à savoir comment convaincre l’opinion publique de la nécessité absolue pour les parlementaires, en particulier les députés, de cumuler. D’après un sondage ELABE, 67 % des Français estiment qu’il faut maintenir l’interdiction du cumul des mandats