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Les députés ont voté la régulation de l’installation des médecins libéraux. On a cherché à savoir ce qu’en pensaient les principaux concernés. Que du mal.
Actualités

Régulation de l’installation des médecins : une unanimité professionnelle contre

La semaine dernière, les députés ont entamé en séance publique l’examen de la proposition de loi de Guillaume Garot, prévoyant notamment une régulation de l’installation des médecins. L’idée générale est que les médecins libéraux, qu’ils soient conventionnés ou non, doivent demander à l’Agence régionale de santé (ARS) s’ils peuvent installer leur cabinet dans telle ou telle ville.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mesure fait l’unanimité contre elle chez les médecins.

Une démographie médicale déficitaire partout dans le monde

« Il n’y a pas qu’en France que nous faisons face à un déficit médical. En réalité, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) estime qu’il manquera 11 millions d’agents de santé [NDLR : le terme englobe toutes les personnes travaillant dans le domaine de la santé] d’ici à 2030 », explique le docteur Franck Devulder, président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français).

En France, 87 % du territoire manque de médecins, d’après l’atlas de la démographie médicale.

« Il n’y a pas eu de renouvellement de génération et les attentes des jeunes médecins ont changé, comme dans le reste de la société. Ils souhaitent avoir un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Plus qu’un texte anti-médecins libéraux, c’est surtout un texte antijeunes médecins. »

Ce sentiment est partagé par Adrian*, interne en néphrologie : « On a l’impression d’avoir des contraintes avant de pouvoir commencer sa vie. On change de stage et d’hôpital tous les six mois durant l’internat. Nous faisons déjà un travail dans les zones sous-denses. À 30 ans, ayant enfin fini toutes nos études, la plupart aimeraient pouvoir s’installer là où ils ont prévu de vivre à long terme. »

Il partage le constat du changement des attentes : « La question du temps de travail et de la qualité de travail, c’est récent et ça pose des questions. Je n’ai pas forcément envie de bosser 70 h par semaine à vie comme les anciens chefs. »

Moine-médecin et patriarcat médical

L’image du moine-médecin qui ne compte pas ses heures et reste sur le pont en permanence a la vie dure dans l’imaginaire collectif. Elle cache pourtant autre chose.

« La profession s’est d’abord féminisée et les modes de vie ont changé. On oublie que derrière chaque médecin homme qui sillonnait les campagnes et ne comptait pas ses heures, il y avait une épouse à la maison, qui gérait l’intendance, le secrétariat et la famille. Le médecin décidait et la famille devait suivre. Le moine-médecin relève du patriarcat médical. Aujourd’hui, les conjoints ont leur mot à dire, de même que les enfants », détaille le docteur Sophie Bauer, présidente du SML (Syndicat des médecins libéraux).

« Tout le monde dit que la chute démographique des soignants n’a pas été anticipée, c’est faux. D’une part, beaucoup de tâches relatives aux soins étaient effectuées dans la cellule familiale, surtout par les femmes, et tout le monde s’attendait à ce que ça continue. D’autre part, la santé n’est pas vue comme un investissement mais comme une source d’économies ou de dépenses. Résultat : on a construit des structures, mais sans réfléchir au personnel », poursuit-elle.

Au-delà de la fronde, la régulation de l’installation risque d’aggraver la situation.

Abandon de la médecine libérale

« La régulation de l’installation part d’un mauvais postulat de la part des députés. Pour eux, un médecin généraliste est forcément un médecin libéral. C’est faux », diagnostique le docteur Raphaël Dachicourt, président de ReAGJIR (syndicat des jeunes médecins généralistes). Il partage le constat sur l’analyse économique de la santé du docteur Sophie Bauer : « La santé est vue comme une dépense, donc on part du principe que moins il y a de médecins, moins il y a de prescriptions. »

« Il suffira de se salarier quelque part et comme on est en pénurie, ce ne sont pas les offres qui manquent », ajoute-t-il, avant de conclure : « Aujourd’hui, on a besoin d’une médecine de proximité. » Donc, plutôt de médecins libéraux que de médecins salariés.

Le docteur Franck Devulder va dans le même sens : « Les médecins vont devenir salariés et ne feront plus d’exercice libéral. »

Serait-ce un problème ? En fait, qui dit salariat dit salaire, mais aussi horaires cadrés. Il y aura donc moins de médecins disponibles pour assurer des gardes.

Les médecins pourront toujours exercer dans des centres de santé, mais ils seront salariés, avec un risque que les soins soient en secteur 2, ce qui coûtera plus cher aux patients.

Stéphanie Rist, député du bloc central, voit un autre type de débouchés : « Aujourd’hui, les laboratoires pharmaceutiques font des ponts d’or. Il y aura une augmentation des recrutements, avec les bénéfices du salariat, y compris une qualité de vie supérieure à ce que pourrait connaître un médecin en exercice libéral. »

Mathieu*, cardiologue hospitalier, le confirme : « Il est très facile pour un généraliste de trouver un travail super bien payé, avec des horaires attractifs, dans des structures de type SSR [NDLR : Services de soins et de réadaptation]. Il y aura donc moins d’installations. »

L’autre volet est évidemment celui de l’expatriation : « Les médecins qui seront en région limitrophe avec la Suisse, le Luxembourg ou l’Espagne iront exercer dans ces territoires, mais pas uniquement. Aujourd’hui, nous recevons des offres pour aller travailler au Maroc », précise le docteur Sophie Bauer.

« On ne régule pas une pénurie »

La phrase qui est spontanément revenue chez toutes les personnes interviewées est la même : « On ne régule pas une pénurie. »

Au lieu d’aider les territoires sous-dotés, la proposition de loi pourrait avoir un effet pervers : inciter les médecins à prendre leur retraite plus tôt.

Aujourd’hui, beaucoup de médecins libéraux poursuivent une activité professionnelle bien au-delà de l’âge de départ à la retraite. Toujours selon l’atlas de la démographie médicale, c’est dans la tranche d’âge 60-69 ans qu’il y a le plus de médecins en activité régulière.

Ils sont parfois seuls ou en collaboration avec un jeune médecin. Le docteur Raphaël Dachicourt l’explique : « Les jeunes médecins viennent travailler aux côtés d’un médecin plus âgé. Cela leur permet de parfaire un apprentissage en libéral, mais surtout de préparer la patientèle à une transition vers le jeune praticien. Cette collaboration risque de disparaître. »

« La collaboration avec un médecin libéral plus expérimenté est d’autant plus précieuse qu’à aucun moment de nos études nous ne sommes formés à la gestion d’une entreprise. Un cabinet de médecine libérale est aussi une entreprise. Personne ne nous explique comment nous organiser, tenir un bilan comptable, effectuer les formalités. Si on régule tel que le prévoit la proposition de loi, cette collaboration pourrait s’éteindre », détaille le docteur Sophie Bauer.

La création d’un parachute doré

Pourquoi ? « Les médecins auront plutôt intérêt à revendre leur installation à un jeune médecin, à prix d’or, et à prendre leur retraite plus tôt, avec un joli parachute doré, plutôt que de rester en exercice. D’autant qu’en restant en activité au-delà de l’âge de départ à la retraite, ils ne bénéficient pas d’une majoration de leurs cotisations », précise le docteur Raphaël Dachicourt.

La revente d’installation ou de patientèle existe déjà chez les médecins libéraux, mais elle est quasiment anecdotique. Si l’installation est régulée, comme pour les taxis qui avaient obtenu gratuitement leur plaque, il y aura un nouveau marché pour la revente, avec une spéculation. Ce n’est pas un cas d’école.

« La revente de patientèle ou d’installation existe déjà dans un secteur médical déjà régulé, celui des kinésithérapeutes, et elle se négocie très cher », mentionne Stéphanie Rist. Le docteur Sophie Bauer confirme : « On assiste déjà à ce phénomène chez les kinésithérapeutes. »

Même son de cloche chez le docteur Franck Devulder : « Il existe déjà une régulation chez les kinésithérapeutes et les infirmières libérales. Ce système ne fonctionne pas. »

Ce risque spéculatif de la revente serait d’autant plus malvenu que les médecins souffrent déjà d’une mauvaise réputation : celle de ne s’intéresser qu’à l’argent.

La fausse excuse de la vocation

Le reproche revient souvent : les médecins ne seraient intéressés que par l’argent et n’auraient plus la vocation de soigner les malades. L’argument fait bondir le docteur Sophie Bauer : « Nous faisons 70 h par semaine. En libéral, nous sommes aussi chefs d’entreprise, donc soumis à toutes les obligations qui vont avec. Beaucoup d’entre nous assurent des gardes bénévoles, sans repos compensatoire. Et ce n’est que très récemment que nous avons obtenu un congé maternité. »

Adrian* rappelle les chiffres : « Quand on est interne [NDLR : donc encore en formation], on travaille entre 50 h et 70 h par semaine pour un salaire de 1 500 €. On est largement en deçà du SMIC horaire. On paie nos frais d’inscription comme tout le monde à la faculté, pendant dix ans. À ce moment-là, toutes les personnes issues de la fac publique doivent être traitées pareil. »

Stéphanie Rist sourit quand on lui avance l’argument de la vocation : « Les étudiants en médecine rapportent plus d’argent à l’État qu’ils n’en coûtent. Ils travaillent durant leurs études, dans des structures publiques, donc font économiser de l’argent. »

Le magazine spécialisé Egora a fait le calcul : l’État gagne 210 085 € par médecin généraliste et 366 587 € par médecin spécialiste.

Former plus : la seule solution

Pour Stéphanie Rist, il n’y a pas de secret : il faut tout simplement former plus de médecins, quitte à tordre un peu le bras aux doyens des facultés pour qu’il y ait plus de places. Pour elle, il faudrait aussi envisager l’examen des formations privées, sans pour autant être elle-même convaincue par cette option.

Le docteur Raphaël Dachicourt envisage une autre façon d’atténuer la pénurie : déléguer certains actes. Pour lui, tout ne nécessite pas le passage par la case médecin généraliste, et certaines actions pourraient être effectuées par des professionnels de premier accès, tels que les pharmaciens.

Notons que c’est déjà le cas pour certaines choses du quotidien.

Quant à la proposition de loi de Guillaume Garot, elle fera son retour en séance publique le 5 mai 2025. Même si elle est votée par les députés – ce qui n’est pas garanti à ce stade – il n’est pas impossible qu’elle ne passe pas l’étape du Sénat, en raison de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires.

D’ici là, les internes et les généralistes appellent à une grève le 28 avril et à une manifestation le 29 avril 2025.


*Les personnes ont demandé le pseudonymat pour témoigner.