Image rare des journalistes et des ministres attendant l'annonce du nouveau Gouvernement
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Remaniement toxique

Cela faisait plusieurs jours qu’on attendait un changement de Gouvernement. Mais, celui du 20 juillet 2023 a atteint des sommets de bêtises et de toxicité. 

Aucune surprise 

La Constitution de la Vᵉ République est relativement simple à comprendre : le Président décide d’une politique générale, à charge pour le Premier Ministre de l’appliquer. Évidemment, dans les faits, selon le caractère du premier et du second, il peut y avoir des ajustements, des orientations, etc. Le président de la République a choisi de garder Elisabeth Borne. Est-ce qu’il n’avait personne d’autre sous la main ou est-ce qu’il a été convaincu par la première année d’exercice ? Les commentateurs politiques se perdent en conjectures. Le fait est qu’en maintenant la Première Ministre, il paraissait évident qu’il n’y allait pas avoir de grands changements. 

Signe supplémentaire : la plupart des grands ministères ne semblaient pas être concernés par un changement de locataires : l’Intérieur, le Budget, la Justice, l’Écologie. Les deux gros portefeuilles qui devaient être modifiés étaient l’Éducation Nationale et la Santé. 

Cela aurait donc dû prendre quelques minutes, entre deux portes, même si pour les personnes concernées, l’enjeu est évidemment différent. Pour une raison qui échappe totalement à la logique, il a été décidé de faire durer le suspense. 

Elon Musk au secrétariat général de l’Élysée ?

Annoncé hier dans l’après-midi, puis dans la soirée, ensuite pour ce matin, à 18 h 15, ce jeudi 20 juillet 2023, on n’a toujours aucune communication officielle de Matignon ou de l’Élysée sur la composition du nouveau Gouvernement. Mais, une partie des rédactions ont déjà les noms, les portefeuilles et la liste quasi complète des membres du Gouvernement. Il faudra attendre 19 h 45 pour qu’enfin le communiqué de presse de l’Élysée soit envoyé aux rédactions*.

Pourquoi ? En premier, ce sont les nouveaux entrants qui ont communiqué de leur propre chef, leur arrivée, en passant au-dessus de la tête de la Première Ministre. Marlène Schiappa, sur BFM TV, a carrément donné une interview pour dire qu’elle quittait le Gouvernement, grand sourire aux lèvres. Même si elle n’est plus membre du Gouvernement, on retiendra que l’élégance ne l’étouffe pas, pour s’exprimer avant la Première Ministre. La bonne nouvelle étant quand même qu’elle quitte enfin le Gouvernement. N’étant pas parlementaire, elle aura tout le loisir de faire des photos pour Playboy, échanger avec Ségolène Royal sur le plateau de Cyril Hanouna ou faire la promotion de produits capillaires. 

Et pour les autres ? Le supplice perdure et le cas est très farfelu : les ministres ne savent absolument pas s’ils sont maintenus ou s’ils sortent. Ils en sont réduits à écouter la télévision ou à scruter Twitter, pour essayer d’en savoir plus, via quelques journalistes manifestement très privilégiés par Matignon ou l’Élysée. On pensait que l’absence d’informations en provenance de Matignon ou de l’Élysée était due à un choix dans l’envoi à certaines rédactions. Mais, il nous a été confirmé que les ministres eux-mêmes ne savent pas quel sera leur sort. Au-delà de l’inélégance manifeste, cette manière de procéder rappelle furieusement les méthodes de management d’Elon Musk. À croire que l’Élysée a profité de la venue du patron de Twitter et de Tesla pour faire un stage intensif sur la manière de (mal) se comporter. Rappelons que n’importe quel chef d’entreprise qui procéderait ainsi, se ferait vertement tancer. Ce n’est pas un exemple à suivre, sauf si vous voulez faire la connaissance du conseil des prud’hommes de votre région.

Tournez manège à l’Assemblée nationale 

Plus que le Sénat, à chaque remaniement, les cartes de l’Assemblée nationale sont rebattues. En cas de majorité, ce n’est pas tellement un problème. Mais, quand on est en majorité relative, ça devient critique. Plusieurs députés entrent au Gouvernement. Or, ce ne sont pas des députés sans responsabilité. Parmi les entrants, on compte Aurore Bergé, présidente de groupe, qui va être remplacé par Sylvain Maillard, Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales, ainsi que Philippe Vigier et poids lourd de la majorité. Ils seront remplacés à l’Assemblée nationale par leurs suppléants respectifs, mais ils remplacent des ministres issus de la société civile ou qui ne sont pas parlementaires. Il va y avoir une perte de compétence, même si celle-ci sera moins flagrante du côté de Sabrina Agresti-Roubache.

Elle remplace Olivier Klein à la ville**. On peut se demander pourquoi. À son actif, sur la question du logement, elle n’a qu’une proposition de loi, déposée il y a un mois, visant à créer les conditions d’un choc de l’offre de logement en France. Proposition qui est assez creuse. Elle ne peut pas non plus avancer sa profession pour faire valoir sa compétence sur le sujet, étant productrice dans l’audiovisuel. Elle était membre de la commission des lois, commission permanente qui n’est pas en charge des questions liées au logement – c’est la commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales. Le seul groupe d’étude dont on peut considérer qu’il se rattache vaguement à la question du logement est celui de « villes et banlieues ». On ne peut même pas dire qu’elle comptabilise des points dans la presse ou dans l’opinion publique, personne ne la connaît. En un mot comme en cent : pour quelle raison objective Sabrina Agresti-Roubache entre-t-elle au Gouvernement ? Parce que si on doit se fier à son unique année de mandat de député, la compétence ne saute pas aux yeux. 

Le constat est moins sévère pour Thomas Cazenave. Il récupère le portefeuille des comptes publics. Membre de la commission des finances et de plusieurs organismes extra-parlementaires en lien avec les finances publiques, il a également été rapporteur thématique sur le dernier projet de loi de finances. Point amusant : il a été rapporteur au fond de deux propositions de loi portant justement sur le logement. 

Les postes de tous les députés sont remis en jeu au début de la session ordinaire. La session extraordinaire se termine ce dimanche, faisant que le départ des députés concernés par cette promotion ministérielle ne devrait pas avoir d’incidences sur le devenir du projet de loi sur l’industrie verte. D’ici à la rentrée, les suppléants auront fait leurs entrées. Quant à ceux qui étaient suppléants des ministres sortis, ils « perdent » leur fonction de député, eux aussi de façon très brutale. Ce sera le cas de Fabien Lainé, suppléant de Geneviève Darrieussecq. Il était député depuis 2017. Mais, tout le monde aura retenu l’énorme couac de communication et le mépris affiché. 

Vous pouvez retrouver la composition du Gouvernement sur ce lien

* Projet Arcadie a été oublié. 

** Et non au logement comme écrit précédemment.