Le ban de TikTok aux États-Unis est loin d'être la fin de l'application du Parti Communiste Chinois sur le sol américain.
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TikTok, le rêve en toc au cœur de la tourmente américaine

Le ban de TikTok est effectif depuis ce dimanche 19 janvier 2025 aux États-Unis. Mais, derrière ce qui est pris pour une limitation de la liberté d’expression, c’est surtout une guerre d’influence, dont le dernier acte n’est pas encore joué.

La Cour Suprême scelle le rêve américain de l’application

La décision de la Cour Suprême retrace l’historique du bannissement de TikTok aux États-Unis. L’affaire remonte au mois d’août 2020, lorsque le Président Donald Trump prend un décret constatant que la diffusion aux États-Unis d’applications mobiles développées et détenues par des entreprises chinoises sont une menace pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie américaine.

Quelques jours plus tard, Donald Trump ordonne à la société ByteDance de céder ces actifs américains, en l’occurrence TikTok Inc. Mais, les deux entités ont introduit une action en justice, action qui a été mise en suspens au moment du changement d’administration. Le Président Joe Biden a préféré utiliser la voie législative et une loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des adversaires est adoptée en avril 2024.

L’alternative laissée à ByteDance est simple : céder TikTok Inc. à une entité américaine ou voir la plateforme bannie du territoire américain et pour la Cour Suprême, cela n’est pas une violation du premier amendement.

Le gros gâteau qui attise l’appétit des géants

ByteDance n’a pas vraiment le choix : ou l’entreprise accepte de céder TikTok Inc., la filière américaine et de la détacher totalement ou le réseau social restera banni sur le sol américain. Soit, elle gagne de l’argent en une fois soit elle en perd, même si le marché américain n’est pas le plus gros pour l’entreprise. L’Amérique du Nord ne représente que 192 millions d’utilisateurs, dont 170 millions d’Américains. Le plus gros des utilisateurs — soit 682 millions — réside en Asie (à l’exception de l’Inde) et dans la zone Pacifique. L’Europe arrive après avec 238 millions d’utilisateurs, suivi de l’Amérique latine avec 207 millions d’utilisateurs. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord comptent 171 millions d’utilisateurs.

Plusieurs noms circulent pour le rachat éventuel de TikTok. Elon Musk figure en bonne position, mais ByteDance dément. Perplexity AI a soumis une offre. On compte aussi un Youtubeur, MrBeast, Project Liberty, un groupe de défense d’Internet dirigé par Franck McCourt, Kevin O’Leary ou encore Rumble, une plateforme de partage de vidéos, mais aussi Bobby Kotick en partenariat avec Sam Altman d’OpenAI.

On ne sait pas encore à combien se monterait une éventuelle cession. Mais, l’enjeu est quasiment le même que pour Twitter (actuellement X) : avoir un canal de communication en propre et donc, gagner en influence. L’exemple d’Elon Musk semble faire des émules. Même si Twitter a perdu en valeur, Elon Musk a gagné en influence, au point de se retrouver missionné par le Président des États-Unis.

Un coup dur pour les influenceurs et annonceurs

TikTok est avant tout une affaire d’argent et ceux qui l’ont bien compris, ce sont les influenceurs. Certains ont misé l’intégralité de leur affaire sur le réseau social contrôlé par le Parti Communiste Chinois, sans développer les autres canaux. C’est le cas de Jessica Simon qui a lancé un business de bougies et tout misé sur TikTok.

Pourquoi ? Comme l’explique un expert, la migration vers d’autres plateformes n’est pas si évidente « passer à Instagram ou à YouTube Shorts n’est pas simple. Il y a une énorme différence : TikTok donnait un trafic massif en millions de vues sans effort. Sur Instagram, il faut construire une audience pendant des mois ou payer des publicités. Sur YouTube, personne ne s’intéresse à vos shorts, la conversion est proche de zéro ».

Ce sera également le cas des créateurs de contenus, qui participait au Creator Rewards Program, mais, aussi aux agences publicitaires. Ces dernières ont pour spécialité de placer des publicités sur les réseaux sociaux, dont TikTok en lieu et place des utilisateurs.

Mais, il n’y a pas que les utilisateurs de TikTok qui vont en pâtir « L’interdiction de TikTok affectera aussi les entreprises qui n’utilisaient pas TikTok du tout, car les annonceurs reviendront à Meta, ce qui entraînera une augmentation du CPM (voir boîte noire). Il y aura beaucoup plus de concurrence sur les flux organiques, car il y aura beaucoup plus de contenu publié sur les “réels” Instagram et Facebook » explique un autre bon connaisseur de l’écosystème.

Un contournement technique pas si simple

Quand un site Web est banni d’un réseau, il suffit de dégainer un VPN pour y avoir accès. Les choses ne sont pas aussi simples avec une application mobile et l’exemple indien le montre assez bien. En effet, en 2019 et confirmé en 2020, l’Inde décide de bannir TikTok.

Plusieurs utilisateurs ont indiqué que le passage via un VPN ne suffisait pas à contourner le blocage : il faut passer par des cartes SIM virtuelles et des proxys 4G, ce qui a un coût.

D’autres ont choisi de recourir à des VPS et des émulateurs afin de se faire passer pour des utilisateurs d’un autre pays, mais, là encore, cela nécessite quelques dépenses et quelques connaissances techniques que tous les utilisateurs n’ont pas.

Par ailleurs, si dans le cas indien, ceux qui voulaient contourner l’interdiction l’ont fait pour toucher le marché américain et européen — plus spécifiquement le marché britannique — il est peu probable que les Américains procèdent de la même façon. Les influenceurs préféreront retourner dans l’écosystème de Meta, détenu par Mark Zuckerberg et désormais proche de Donald Trump.

RedNote : l’alternative temporaire ?

RedNote (Xiaohongshu) a connu un boom ces derniers jours, d’utilisateurs qui se sont rués vers l’application mobile chinoise, nommée ainsi en référence au petit livre rouge de Mao. Depuis la semaine dernière, les téléchargements de l’application mobile ont connu une augmentation de 194 %.

Mais, elle présente les mêmes vulnérabilités que TikTok. Elle est contrôlée par une entité étrangère hostile et pourrait, elle aussi, se retrouver bannie du jour au lendemain, d’autant qu’il ne semble pas qu’elle ait de bureaux aux États-Unis.

Elle est aussi beaucoup plus censurée que TikTok et des offres d’emploi locales montrent qu’elle cherche à recruter des salariés bilingues, pour occuper des postes de modérateurs.

L’attentisme européen

Si on se fie aux chiffres des utilisateurs, bloquer TikTok sur le sol européen aurait un impact bien plus fort pour ByteDance. En avril 2024, Ursula von der Leyen avait indiqué qu’il n’était pas exclu de bannir le réseau social de l’Union européenne, sur la base du DSA. Depuis, elle est plus timide sur le sujet. Le seul bannissement effectif est l’interdiction de l’application sur les téléphones professionnels des responsables politiques et institutionnels.

La France l’avait temporairement banni en Nouvelle-Calédonie lors des émeutes, mais depuis, le dossier ne paraît pas vraiment bouger, alors d’un rapport sénatorial a montré que l’application n’était pas tout à fait neutre sur le plan des droits fondamentaux.

Bizarrement, le Sénat a tout de même un compte sur TikTok.

Les Républicains au secours du Parti Communiste Chinois ?

Le sénateur Joseph McCarthy, fervent Républicain et figure emblématique de la lutte anticommuniste américaine, doit se retourner dans sa tombe de voir des Républicains défendre bec et ongles, un outil de surveillance et de propagande, contrôlé par le Parti Communiste Chinois. C’est pourtant le cas, même si cela ne concerne pas l’ensemble des Républicains. Ce sont surtout les plus jeunes, eux-mêmes très actifs sur le réseau social, qui plaident pour le retour de l’application.

Le salut de TikTok viendra-t-il de Donald Trump ? Ce n’est pas garanti à ce stade : lui-même avait prôné l’interdiction de l’application. Mais, plus récemment, il a déclaré que TikTok avait « une place de choix dans son cœur » et Shou Zi Chew, le PDG de TikTok est invité à la cérémonie d’investiture. Elon Musk en profitera-t-il pour faire du charme à Shou Zi Chew ?

Lever le ban reviendrait à se renier lui-même, pour conquérir les influenceurs. Mais, cela risque aussi de le couper d’une partie de son camp politique et d’entrer en contradiction avec son slogan « America First ». Comment pourrait-il justifier son changement de vision alors que l’application n’a pas changé ?

La saga TikTok est loin d’être terminée aux États-Unis.


Mise à jour du 19 janvier 2025 à 19 h 15 : le réseau social TikTok, sur son compte X (anciennement Twitter) a annoncé « En accord avec nos fournisseurs de services, TikTok est en train de rétablir le service. Nous remercions le président Trump d’avoir apporté la clarté nécessaire et l’assurance à nos fournisseurs de services qu’ils ne subiront aucune pénalité en fournissant TikTok à plus de 170 millions d’Américains et en permettant à plus de 7 millions de petites entreprises de prospérer.

C’est une position forte pour le premier amendement et contre la censure arbitraire. Nous travaillerons avec le président Trump sur une solution à long terme qui maintiendra TikTok aux États-Unis ».

La solution de Donald Trump serait de temporiser l’interdiction durant 90 jours, le temps de trouver un acheteur et indique « Je voudrais voir une société commune contrôlée à 50 % par des Américains ». La loi de 2024 ne prévoyait pas ce cas.


Boîte noire

Les deux connaisseurs interrogés ont requis l’anonymat, une partie de leurs activités étant considérées comme illicites au regard des conditions générales d’utilisation des différentes plateformes et des réseaux sociaux.

Elles ne sont pas illégales au sens de la loi.

Le CPM est le coût pour mille, soit le prix demandé pour qu’une publicité s’affiche auprès de mille utilisateurs. Il varie en fonction de l’audience recherchée.