
Les tueurs d’extrême-droite : une menace minimisée par les pouvoirs publics
Paul Conge signe « les tueurs d’extrême-droite – enquête sur une menace française » aux éditions du Rocher. Au lendemain du verdict de Martial Lanoir, c’est l’occasion de parler de cet ouvrage, qui revient sur trois meurtres, à connotation raciste, passés sous les radars du monde médiatique et politique.
Une menace sous-estimée par l’État
Pour l’auteur, la réaction de l’État reste largement insuffisante : « Il n’y a pas eu de déclarations de l’exécutif après le meurtre de l’ex-international de rugby Federico Aramburu, le 19 mars 2022, tué en pleine rue par deux anciens militants d’extrême droite, connus de la justice et réputés pour leur violence. Pas plus après le meurtre d’Eric Casado Lopez, un jeune intérimaire d’origine marocaine et espagnole, le 14 mai 2022, abattu lui aussi en pleine rue par un conspirationniste nostalgique du IIIe Reich. »
« Seule exception notable : l’attaque du 23 décembre 2022, perpétrée par William Malet. Emmanuel Macron avait alors dénoncé « une odieuse attaque ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était également interrogé publiquement sur la nature politique de cet acte — un point qui sera déterminé à l’instruction. »
Des réponses politiques en demi-teinte
Même à l’Assemblée nationale, les propos racistes sont parfois lancés durant les séances et même si cela a donné lieu à des sanctions, le simple fait que les auteurs puissent se sentir libre de s’y adonner montre un changement de braquet.
Depuis, peu de choses ont changé. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a été critiqué pour son silence après un meurtre raciste dans une mosquée du Var.
Plus récemment, à Reims, une femme a été agressée par une vingtaine d’individus qui ont tenté de lui arracher son voile*.
Si la gauche a unanimement condamné l’agression, la majorité présidentielle est restée muette. Même silence du côté de la place Beauvau.
Une succession de failles sécuritaires
Ce qui frappe surtout dans l’ouvrage de Paul Conge, c’est que les trois affaires analysées semblent être une compilation de failles. Dans le cas de William Malet, qui commettra l’attaque contre le centre culturel kurde de Paris, personne ne s’était intéressé à la dangerosité du personnage.
Pourtant, un an avant, il avait attaqué au sabre un campement de migrants à Bercy. Il est appréhendé, mis en détention provisoire et libéré au bout d’un an, l’expertise psychiatrique estimant qu’il ne présentait aucun signe de dangerosité. Onze jours plus tard, il commet l’attaque de la rue d’Enghien qui ne sera pas qualifiée de terroriste, au grand désarroi de la communauté kurde.
Comme le souligne Paul Conge « Qu’il n’ait pas été surveillé, ni même fiché « S » après les faits de 2021, interroge sur la prise en compte de cette menace ».
Des armes en libre circulation
Le point qui suscite le plus d’étonnement dans son ouvrage est la prolifération des armes à feu. Alors que le Premier ministre s’est lancé dans une surenchère médiatique sur l’interdiction de vente de couteaux aux mineurs, suite au drame de Nogent, Paul Conge démontre de façon très pédagogique que les armes à feu circulent très sereinement en France.
Dans le cas de Martial Lanoir, surnommé le tueur de Pigalle, son stock, pourtant découvert avant les faits, ont donné lieu à une simple main courante.
Ce dernier a été condamné le vendredi 20 juin 2025 par les assises de Paris à 22 ans de prison pour meurtre. Complotiste halluciné, adepte des « thèses » d’Alain Soral, il donnait libre cours à sa haine envers les personnes issues de l’immigration. D’abord adepte, il est devenu un promoteur avant de se muer en tueur.
Une justice lente et débordée
Le cas le plus absurde, qui montre les lacunes de l’appareil sécuritaire français, reste l’affaire Le Priol et Bouvier.
Ces deux anciens GUDards, dont l’un était militaire, avaient un passif judiciaire. Comme l’explique Paul Conge, si la justice n’avait pas un tel manque de moyens de fonctionnement, l’assassinat de Federico Martin Aramburu n’aurait pas eu lieu. Le Priol et Bouvier étaient sous contrôle judiciaire depuis sept ans, pour avoir violenté un ancien dirigeant du GUD. Ils seront jugés aux assises.
Comment expliquer cette lenteur ? « La justice, notamment parisienne, est lente et embouteillée. Elle souffre d’un manque de moyens et de magistrats, de longs délais d’audiencement. À cela s’est ajoutée la crise du COVID-19 qui a encore retardé l’échéance du procès de plusieurs mois ».
L’ombre du traumatisme post-combat
La lecture de l’ouvrage de Paul Conge laisse une question sans réponse concernant Loïk Le Priol : ancien militaire, ayant opéré en zone de guerre, il indique souffrir de stress post-traumatique.
Même si on peut avoir des doutes sur la sincérité de son propos, il met en avant un point, qui semble occulté par les pouvoirs publics.
« On a malheureusement plusieurs cas de militaires qui, après des missions extrêmement difficiles en zone de guerre, souffrent de stress post-traumatique et dégoupillent une fois de retour en France. Il y a généralement un suivi psychiatrique qui est assuré par l’armée – Loïk Le Priol a été suivi pendant des années à l’hôpital de Percy – mais celui-ci est insuffisant. Certains profils deviennent tout à fait imprévisibles ».
Une apparente impunité alimentant la légitimité de l’action
En refermant « les tueurs d’extrême-droite – enquête sur une menace française », on garde un goût amer en bouche. La menace est là, elle paraît de plus en plus prégnante, mais les pouvoirs publics ne paraissent pas en avoir conscience alors que la parole raciste s’est libérée et que certains individus n’hésitent plus à passer à l’acte.
Après « les grands remplacés », sorti en 2020, Paul Conge signe un nouvel ouvrage bien documenté, bien écrit, qui se lit comme un polar. Il laisse le lecteur face à une réalité glaçante : celle d’un État dépassé par une violence idéologique, qui tue.
* Mise à jour du lundi 23 juin 2025 à 8 h 35
Selon l’AFP, reprenant les déclarations du procureur de Reims, François Schneider, « le caractère anti-musulman de l’altercation n’a pas été démontré ». Le suspect conteste la version de la jeune fille « à ce stade, le caractère anti-musulman n’a pas été démontré, les versions des uns et des autres étant divergentes ». La victime « ne s’est pas présentée aux UMJ (unités médico-judiciaires, NDLR) et ne répond plus aux enquêteurs ».
Le suspect évoque un conflit bénin entre lui et la soeur de la jeune fille. Selon lui, la jeune fille aurait retiré son voile de son plein gré. Le procureur indique qu' »en l’absence de circonstance aggravante et d’ITT » (incapacité totale de travail, NDLR), ce sont des faits simplement « contraventionnels ».