Où est Charlie façon rentrée parlementaire.
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Un jour de rentrée à l’Assemblée nationale

« À quelle heure est-ce que les députés arrivent ? »
« À 14 h. »

On peut connaître l’Assemblée nationale sur le bout des doigts et ne pas savoir certains détails logistiques, pourtant maîtrisés par toutes les rédactions. Heureusement, le Projet Arcadie peut compter sur certaines consœurs, toujours prêtes à donner un coup de main. 

Ni une ni deux, la XVIIe législature va commencer, autant attraper les députés dès le départ. En temps normal, les journalistes doivent passer par le 33 quai d’Orsay. Mais, pour les journées d’accueil — ce moment consacré aux tâches administratives d’entrée des députés — toute la profession est invitée à faire son entrée par le 126, rue de l’Université. 

Une fois dans la cour, on constate l’étendue du dispositif. Même les députés réélus doivent passer par là. 

Ceux qui se sont fait remarquer ces dernières semaines ont droit à une forêt de micros avant même d’entrer dans la cour. Une sorte de « Où est Charlie » façon rentrée parlementaire. 

On commence par un barnum dans lequel le député délivre son identité. Certains en profitent pour discuter longuement avec les journalistes, d’autres enchaînent les interviews télévisées. 

Laurent Jacobelli (RN) ou Mathieu Lefèvre (Renaissance) ont longuement échangé avec les médias, avant de rejoindre l’Assemblée nationale. Les moins connus ou les plus modestes montent tranquillement vers l’hémicycle pour s’arrêter devant le pool des photographes.

Qui sont-ils ? Entre photographes, on s’échange les noms, les circonscriptions et les étiquettes. Quid des nouveaux ? Un huissier accompagne tous les députés, munis d’un carton sur lequel figure l’identité, la circonscription et le parti. Un clic sur la personne, un clic sur le carton, c’est dans la boîte et au suivant. 

Enfin, presque tous les députés. Car, si la plupart se prêtent avec plaisir au jeu, d’autres ont carrément décidé de zapper le rituel. Ainsi, Olivier Marleix, ancien président du groupe Les Républicains sous la XVIe législature, n’a pas spécialement fait preuve d’élégance. Difficile de dire s’il a sa tête des bons ou des mauvais jours, d’autant qu’il n’a pas de raison de se réjouir. Certes, il est réélu, mais à la tête d’un groupe qui perdu de bons éléments et Laurent Wauquiez fait son retour au Palais Bourbon. Prendra-t-il la tête de LR canal historique ? Que restera-t-il à Marleix ?

Marie-France Lorho (apparentée RN)  a, elle aussi, tenté d’esquiver les photographes. Jusqu’au moment où son nom a été braillé devant le pool, la forçant à s’arrêter et à poser. 

Quant à Éric Ciotti, il a longuement posé derrière les fenêtres, observant le pool, mais donnant l’impression de fuir les photographes et les journalistes. Il faut dire qu’il a tout perdu. De questeur, il passe à député ordinaire. Seule manière de survivre : créer son propre groupe et en prendre la tête. Sauf qu’il n’aura pas assez de points pour obtenir un poste prestigieux. Ou rejoindre le groupe RN et se fondre dans la masse, sans trop dépasser. Le RN n’aime pas les fortes têtes et il faut du temps aux transfuges pour se faire accepter par la famille étendue. 

Une expression pourrait caractériser ces journées d’accueil : moment de grâce. Les députés flottent de bonheur. Pour certains, il s’agit de leur tout premier mandat national et ils sont encore sous le choc. Inconnus du grand public, il y a encore 24 heures, ils vont se retrouver sur le devant de la scène, sont photographiés par l’AFP, AP, SIPA, interviewés par France Info. Un shoot de dopamine, surtout pour celles et ceux qui ont déjoué les pronostics, qui se sont présentés contre leur camp. 

D’autres reviennent de la XIVe législature, comme Laurent Baumel (PS) et certains viennent à peine d’achever leur mandat européen tels qu’Emmanuel Maurel (Gauche Républicaine et Socialiste*), qui n’aura pas eu le temps de souffler. Reste à savoir si le changement de culture parlementaire lui fera du bien. 

La politique politicienne n’est jamais très loin : Philippe Brun (PS) s’entretient avec Oliver Marleix (LR) puis salue chaleureusement Elisabeth Borne sur les marches. Christelle d’Intorni joue les gentilles organisatrices auprès des députés LR-RN. Et déjà se prépare la suite : quelle coalition ? Quelle organisation ? Qui sont les « gentils » et qui sont les « méchants » ? 

Pour Christophe Plassard (Horizons) difficile de s’aligner sur LFI bien qu’il reconnaît lui-même qu’il peut trouver des points d’accord sur certains sujets avec les députés de la gauche de l’hémicycle. Gérald Darmanin pratique le ni-ni : ni RN ni LFI, réduisant l’ensemble de la gauche à ce groupe. Pourtant, il faudra bien arriver à une entente et rien n’est plus délicieux qu’écouter les questions d’une journaliste du Deutsche Welle. L’entretien a beau se dérouler en français, il est évident que le député et elle ne parlaient pas la même langue. Pour nos confrères allemands, une coalition est logique. Pour les Français, cela relève de l’infamie. 

Signe de la précipitation de cette législature : les députés n’ont eu droit qu’à un tote-bag, floqué d’un joli « XVIIe législature » au lieu d’un beau sac comme leurs homologues de la XVIe. En resterait-il quelques-uns, tombés du camion ? Non indique un collaborateur : seulement 577 ont été édités, dans l’urgence, pour remplacer l’habituelle sacoche. 

Le plus important est tout de même remis : le règlement de l’Assemblée nationale, le pin’s et surtout l’écharpe qu’ils auront l’honneur de porter, durant au moins un an. 

Ces journées d’accueil sont le moment des députés et il y a un nom qui est passé aux oubliettes : Emmanuel Macron. Ne parlez pas de lui aux parlementaires, y compris ceux issus de son camp, si vous ne voulez pas leur faire perdre leur bonne humeur. 

Inutile aussi de leur demander quel sera le sort réservé à Gabriel Attal : aujourd’hui, c’est leur jour. Leur rentrée. 

L’heure file, déjà 18 h, on remballe le matériel. Il n’y aura pas de nouvelles arrivées et les députés ont prévu d’arriver en groupes, les jours suivants. La gauche fera son entrée « officielle » demain.


*Une erreur d’inattention s’était glissée dans l’attribution du parti d’Emmanuel Maurel. Il n’était pas PS comme indiqué précédemment, mais Gauche Républicaine et Socialiste.