Vie privée contre vie publique : le sujet Adrien Quatennens
La vie privée des élus peut percuter leur vie publique, surtout lorsque des faits, survenus dans un cadre privé, sont de nature à susciter l’intérêt de la Justice.
Machine médiatique
En août 2022, le Canard Enchaîné faisait état du dépôt d’une main courante de la conjointe d’Adrien Quatennens, pour ce qu’il est convenu d’appeler des violences conjugales ou intrafamiliales. L’article en lui-même donnait peu de détails, si ce n’est que le Parquet était dans la boucle judiciaire.
La machine médiatique a fait le reste, alimentée par Adrien Quatennens. Ce dernier s’est fendu d’un communiqué de presse, dans lequel il admettait avoir été violent envers sa femme. Cette explication a généré des difficultés au sein de son groupe politique et parlementaire. Une seconde main courante a été déposée et on apprend ce lundi 3 octobre 2022, qu’une plainte a été déposée par l’épouse d’Adrien Quatennens contre le député.
En effet, cette dernière n’est pas mince en dossiers sociaux : le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi va être examiné en séance publique, dès la deuxième séance du lundi 3 octobre 2022 et se poursuivra toute la semaine, tandis que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale sont examinés en commissions permanentes. Autant de thématiques où le droit social – sujet phare d’Adrien Quatennens – sera très présent.
Pas de démission forcée
Adrien Quatennens a fait savoir qu’il ne serait pas présent pendant les prochains jours, le temps de régler son divorce. La question soulève certaines interrogations, notamment chez les internautes « Dans quel entreprise française on paye un mec plus de 6000 euros par mois, sans qu’il travaille, pour qu’il s’occupe de son divorce. Oui un divorce c’est douloureux, mais là on se moque de nous. ». (sic)
Des députés qui divorcent, l’Assemblée nationale en a vu passer un certain nombre, surtout sous la XVe législature. Il est vraisemblable que les élus concernés ont été aux abonnés absents, le temps de digérer la chose. Au-delà du seul cas d’Adrien Quatennens, ces réactions sont l’illustration parfaite de la confusion qui règne en politique. Un député n’est pas un salarié. Il est inopérant de comparer la situation d’un salarié avec celle d’un député. Un député n’a ni congés ni salaires. Il perçoit une indemnité et est un représentant. Les textes sont très clairs sur ce sujet. Étant indépendant, un député est libre d’exercer son mandat comme il le souhaite. Certains ont été très évanescents pendant la XVe législature, au point de changer de la commission des lois pour la commission de la défense, simplement parce que le volume de travail de cette dernière était moindre.
Peut-on légalement forcer un député à démissionner ? Non. Les esprits taquins diront qu’on n’arrive déjà pas à forcer des ministres à démissionner, même lorsqu’ils sont mis en examen, alors qu’ils n’ont pas le même statut juridique. Pour être déchu de son mandat de député, ce dernier doit être condamné à une peine d’inéligibilité et que cette peine soit définitive.
Dans la mesure où la justice française est devenue la clocharde de l’État français, pour reprendre les termes de l’ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, que certains tribunaux ne proposent même plus de dates pour les divorces, il paraît évident qu’une telle hypothèse ne va pas se profiler dans les semaines à venir pour Adrien Quatennens. Pour reprendre des exemples plus récents, l’ancien député M’jid El Guerrab a attendu cinq ans pour être jugé, pour des faits de violences, commis en début de mandat.
Les répercussions en cas de démission
Son groupe parlementaire et politique peut-il faire pression sur Adrien Quatennens, pour qu’il présente de lui-même sa démission ? L’hypothèse est tentante. La France Insoumise a essuyé quelques critiques au sujet sa gestion du cas Taha Bouhafs et Éric Coquerel. La démission d’Adrien Quatennens entraînerait une élection législative partielle, ce qui est toujours un risque électoral. Il n’existe aucune élection gagnée d’avance. Même le référendum fantoche organisée par la Russie concernant l’annexion des territoires ukrainiens n’a pas donné 100 % de oui. Notons également que la démission d’Adrien Quatennens entraînerait le licenciement d’office de ces trois collaborateurs parlementaires.
Au-delà du risque électoral, Adrien Quatennens se retrouverait sans ressource financière. En effet, les députés peuvent prétendre à une allocation chômage – pour laquelle ils ont cotisé sur leurs indemnités – sauf s’ils ont démissionné. Le député du Nord se retrouverait donc sans ressource, le temps de retrouver un emploi. Il ne pourra même pas ouvrir rapidement une entreprise de conseil – même en microentreprise – dans la mesure où il est une personnalité politiquement exposée. Il est de ce fait considéré comme étant à risque et les banques sont parfaitement libres de lui refuser tout crédit. Elles ont simplement l’obligation de lui ouvrir un compte bancaire, si elles y sont forcées par la Banque de France.
Notons par ailleurs un point qui n’a pas été soulevé : un député n’est jamais seul. Il travaille avec une équipe : ses collaborateurs parlementaires, qui vont continuer à assurer le suivi des dossiers, gérer les amendements, répondre au téléphone, etc. Par ailleurs, les absences en commission permanente le mercredi matin, durant la session ordinaire, sont financièrement pénalisées. À défaut de batailler en séance, il est probable qu’Adrien Quatennens vienne en commission permanente. Tout comme on peut supposer qu’il travaillera avec ses collègues députés sur les dossiers sociaux.
Une opportunité politique
Les violences intrafamiliales sont un fléau. Elles touchent toutes les classes sociales, tous les genres, toutes les régions, toutes les religions. Elles n’ont pas de couleur politique : tous les partis ont des cas dans leurs représentants, même si tous les dossiers n’apparaissent pas sur la place publique.
Faut-il changer le statut même de parlementaire et l’aligner sur un régime professionnel ? Cela peut être une option à envisager sérieusement. C’est un serpent de mer depuis au moins une vingtaine d’années. Personne n’ose franchir le pas. Pourtant, la féminisation et le rajeunissement des élus posent des questions de gestion humaine. Le rythme stupide de l’Assemblée nationale ne permet pas de légiférer intelligemment. Par ricochet, les difficultés se répercutent sur les collaborateurs parlementaires. Dans le monde de l’entreprise, la vie privée ne doit pas percuter la vie professionnelle, mais, il est possible de prendre des jours de congés pour un deuil, pour une grossesse, pour un enfant malade ou même des congés payés. Un salarié ne doit pas dépasser un certain nombre d’heures de travail par semaine.
À titre de comparaison, les parlementaires européens n’ont pas la même amplitude horaire. Le travail est mieux organisé, la vie privée et la vie politique mieux séparée.
Au-delà du cas d’Adrien Quatennens, le moment est peut-être venu pour les parlementaires de se saisir de ce sujet, à savoir, la sortie de l’hypocrisie concernant le mandat de député ou de sénateur. Reconnaître qu’être parlementaire est une profession permettrait d’évacuer les questions liées à la probité, à la moralité, à la gestion d’une démission, aux risques psychosociaux, aux congés de parentalité, etc. Politiquement, il y a un créneau. Reste à savoir si les élus auront le courage de s’en saisir.