Le parti d’Éric Zemmour, pris en flagrant délit d’amateurisme ?
Un internaute a eu la surprise de découvrir sur son fil d’actualité Facebook, une publicité pour le mouvement politique d’Éric Zemmour.
Le principe
Quand on ouvre le code électoral, on lit les intitulés suivants : « Titre Ier : Dispositions communes à l’élection des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires (Articles L1 à L118-4) ». La première question qui vient alors spontanément à l’esprit est de savoir si le code électoral est applicable aux candidats à l’élection présidentielle.
Le Conseil Constitutionnel a répondu positivement à cette question en 2017. Les articles L47 à L52-18 sont applicables, de même que les articles R27 à R39-10.
Tous les candidats, déclarés ou putatifs, à l’élection présidentielle doivent donc respecter le code électoral. C’est le Conseil Constitutionnel qui fait office de gardien des élections pour la présidentielle.
Le recours à la publicité en ligne
Que signifie publicité en ligne ? Sans aller jusqu’à dresser un inventaire à la Prévert, on peut la définir comme tout moyen visant à attirer l’attention des internautes sur un contenu, par des moyens techniques pour lesquels on a payé. Cela va ainsi de l’achat de contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux, à l’achat de mots-clefs sur les moteurs de recherche, mais également l’achat de retweets, de likes sur Twitter, Facebook, Instagram, TikTok sans oublier l’achat de backlinks ou de PNB (private network blogs) ou de bots pour Telegram ou Discord.
L’élément essentiel est l’échange d’argent. Si un contenu est favorisé sur le Web parce qu’il y a eu une transaction commerciale, c’est de la publicité en ligne. Sur ce sujet, l’article L52-1 du code électoral énonce « Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite.
À compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s’applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l’organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu’il détient ou qu’il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre. »
Si on avait un doute sur l’applicabilité à l’élection présidentielle de cet article, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) apporte un éclairage dans son mémento à l’usage du candidat et de son mandataire. Elle rappelle, en page 23, que certaines dépenses, notamment publicitaires, sont interdites, pendant un temps donné.
Une exception au principe
Lorsqu’on regarde la page incriminée, ainsi que sa bibliothèque publicitaire, on pourrait partir du principe que le candidat se place dans l’illégalité. Toutes les publicités sont datées du mois de décembre 2021, alors que nous sommes dans la période interdite des six mois.
Il est probable que l’équipe de campagne joue sur une ambigüité : l’article L52-8-1 « Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 52-1, les candidats ou les listes de candidats peuvent recourir à la publicité par voie de presse pour solliciter les dons autorisés par le présent article. La publicité ne peut contenir d’autres mentions que celles propres à permettre le versement du don. »
Or, quand on clique sur la publicité, on est redirigé vers le site officiel avec les boutons « j’adhère » et « faire un don ». Évidemment, il y a d’autres informations, mais le Conseil Constitutionnel, dans une décision n° 2007-3751/3886 AN du 22 novembre 2007 A.N., Haute-Savoie (2ème circ.), a estimé « Considérant que les publicités réalisées par voie de presse pour solliciter des dons, parues les 15 et 22 février 2007 dans le journal Le Faucigny, ont comporté les mentions nécessaires à leur versement ; que les dispositions précitées du code électoral ne s’opposaient pas à ce que ces encarts comportent en outre les mentions de “Lionel TARDY - le candidat de la majorité silencieuse” et “Soutenez le candidat des TPE/PME - Faites un don” ; ».
La publicité incriminée n’appelle pas directement à voter pour Éric Zemmour, mais à rejoindre son parti et à le financer, ce qui est parfaitement légal.
Après signalement des internautes, Facebook a suspendu les publicités dans l’après-midi, pour défaut d’avertissement.
Analyses a posteriori
Évidemment, l’analyse à laquelle il est procédé ici n’engage que son auteur et non les membres du Conseil Constitutionnel. La difficulté devant ce type de démarches est qu’elle ne peut être validée ou infirmée qu’après l’élection présidentielle.
Le système est construit de telle façon qu’en dehors des parrainages et du scrutin en lui-même, il n’est pas possible « d’arrêter » un candidat qui ne respecterait pas les règles du jeu. Dans le cas d’Éric Zemmour, certaines dépenses ou certaines réductions ne semblent pas être en conformité absolue avec le code électoral.
Il n’est plus temps de reconstruire le code électoral, le calendrier parlementaire était totalement saturé. Néanmoins, les députés sont conscients du problème, ainsi que le montre le très intéressant rapport d’information sur la loi pour la confiance dans la vie publique, écrit par la présidente Yaël Braun-Pivet et le rapporteur Philippe Gosselin.
Pour autant anecdotique que cela puisse paraître face aux enjeux auxquels est confronté le pays, une modernisation des règles pour être un des gros chantiers du début de la XVIe législature. Quant à Éric Zemmour, si sa démarche n’est peut-être pas illégale, elle n’est certainement pas morale ni éthique.