Quand le président d’une commission d’enquête sert la soupe à l’un des auditionnés : Bataillon reçu chez Hanouna

Quentin Bataillon, président de commission d'enquête, recevant un cadeau d'Hanouna, auditionné par cette même commission.
Quentin Bataillon, président de commission d'enquête, recevant un cadeau d'Hanouna, auditionné par cette même commission.

Est-ce le rôle d’un(e) journaliste de raconter les coulisses d’un entretien avec une personnalité politique ? Est-ce que cela est susceptible d’intéresser le lecteur ? Objectivement, non. Sauf quand ledit entretien est percuté de plein fouet par un autre protagoniste. 

La semaine dernière, Aurélien Saintoul avait accepté un entretien d’une heure — ce qui est royal quand on connaît l’agenda des députés — pour discuter de la commission d’enquête parlementaire sur la TNT. Cet entretien a eu lieu le mardi 2 avril 2024. En tant que rapporteur, cela avait un intérêt de lui demander comment s’étaient déroulées ces semaines d’audition, ce qu’il restait à faire, comment il envisageait la suite de ses travaux. Rappelons-le : il était à l’initiative de cette commission d’enquête. 

Une heure d’entretien, sur des sujets de fond, sur le paysage audiovisuel et surtout : pas un mot discourtois envers le président de la commission d’enquête. Au pire, il concède « je pense que nous n’avons du tout la même conception » de ce qu’est une commission d’enquête. 

« Je n’ai rien contre l’idée que les gens puissent se défendre de certaines accusations, mais en l’occurrence une commission d’enquête ce n’est pas une tribune, ce n’est pas un lieu pour exprimer ses doutes, ses états d’âme, son parcours, sa biographie ou tout ce qu’on veut, c’est l’objet d’une enquête, c’est l’occasion d’une enquête. Donc, si vous pensez qu’il y a matière à une commission d’enquête, c’est que vous pensez que les personnes que vous allez auditionner, pour un certain nombre d’entre elles, en tout cas, n’ont pas forcément l’envie de dire toute la vérité. Donc, vous êtes forcément dans une posture d’enquête, de confrontation. Vous avez la conviction qu’il y a des choses à découvrir, qu’il y a des choses qui ne sont pas totalement avouables ou qu’il y a des pressions ». 

Pourquoi cette commission d’enquête et pourquoi ces auditions ? « Il y a une responsabilité sociale. Il y a une nécessité de mission sociale de la télé qui est gratuite » et en travaillant sur ce sujet, il souhaite donner une impulsion « Il va bien falloir que la société civile s’organise d’une façon ou d’une autre, pour dire “c’est notre télé” ». Actuellement, les canaux de la TNT sont alloués aux chaînes privées ou publiques gratuitement, pour un temps donné. En échange de ce canal, les chaînes doivent respecter certaines obligations. 

Sur le sujet des médias — Projet Arcadie s’en fait beaucoup l’écho ces derniers temps — les députés sont en ébullition : journalistes, rédaction, concentration, chaînes de télévision, la thématique est très vaste. 

Pour l’audiovisuel, c’est l’ARCOM qui joue le gendarme avec un détail qui a son importance : elle ne peut pas s’autosaisir. 

Pour qui a l’habitude des commissions d’enquête et des auditions, ces dernières étaient dans la norme. Rien ne laissait présager la collision du mardi 2 avril 2024. 

Que s’est-il passé ? Quentin Bataillon s’est rendu sur le plateau de Cyril Hanouna. Ce dernier a été longuement auditionné par la commission d’enquête. Répondant aux questions des chroniqueurs et de l’animateur, Quentin Bataillon n’a pas eu un mot en défense d’Aurélien Saintoul ou des autres membres de la commission d’enquête, ne reprenant même pas une chroniqueuse qui a qualifié les auditions de « procès stalinien ». Pendant 30 minutes, Quentin Bataillon a littéralement torpillé la commission d’enquête en direct. Quentin Bataillon assumera-t-il ce « procès stalinien » qui vise aussi bien Aurélien Saintoul que Constance Le Grip, Laurent Esquenet-Goxes ou Karl Olive ? 

Ce n’est pas la première fois qu’un président et un rapporteur de commission d’enquête sont en désaccord. Cela est arrivé lors de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères. Néanmoins, Jean-Philippe Tanguy n’est pas allé le claironner sur le plateau de RT. 

Déontologiquement, le passage de Quentin Bataillon pose deux difficultés. En premier, si le débat politique autorise quelques règlements de compte médiatiques, il devient compliqué de l’assumer sur le plateau de télévision d’une personne auditionnée. Cela est d’autant plus difficile que l’émission reçoit de nombreuses plaintes auprès de l’ARCOM. 

L’autre point est le rôle de Quentin Bataillon. Inconnu du grand public jusqu’aux auditions de la commission d’enquête, comme le montre le bandeau sur l’émission, c’est bien en tant que président de la commission d’enquête qu’il a été reçu chez Hanouna. Or, même si les auditions sont terminées, les travaux ne sont pas achevés. Ils ne le seront que lorsque le rapport sera rendu public. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Aurélien Saintoul n’a pas pu — sans violer les règles relatives aux commissions d’enquête — donner des indications lors de l’entretien sur le contenu du rapport. Dès lors, quid de la neutralité supposée ou attendue du président ? 

C’est une règle implicite, elle n’est pas écrite et pour cause : qui aurait pu imaginer qu’un président de commission d’enquête irait sur le plateau d’une personne auditionnée alors que la commission n’a pas achevé ses travaux ? Qui aurait pu prévoir qu’un président de commission d’enquête irait « débiner » un autre auditionné en direct ainsi que le rapporteur ?

Le président ne rédige pas le rapport, mais il a un espace pour s’exprimer dans le rapport. Pourra-t-on prendre au sérieux ses écrits ? Car, c’est bien la question : en allant sur le plateau de Cyril Hanouna, Quentin Bataillon vient d’entacher la crédibilité de l’ensemble des membres de la commission et de leurs travaux. 

Sur « Touche pas à mon poste », Quentin Bataillon dit « ma dignité n’a pas été remise en question » quand un chroniqueur lui demande « vous recevez des nudes* ? ». En effet, il paraît pertinent de parler au passé. Quel contraste entre le ton employé en janvier 2023 et celui utilisé sur le plateau. 

Tweet de Bataillon sur Hanouna en janvier 2023

Si, déontologiquement, l’Assemblée nationale ne peut rien faire, politiquement, c’est autre chose. Comment réagira Sylvain Maillard ? Quelle pourrait être la sanction politique appropriée ? Comment réagiront les autres députés des autres groupes parlementaires ?   

En cette période de disette législative, l’occasion est belle pour plancher sur un sujet : la remise à niveau du code de déontologie des députés. Après tout, s’il y a bien un sujet sur lequel les députés peuvent œuvrer sans le Gouvernement, c’est bien sur l’organisation de l’Assemblée nationale. 


* Un nude est une photo dénudée.